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presque à rien. On en est venu à déclarer qu’il ne fallait que des marques facultatives, sauf un petit nombre d’exceptions, et, quand on a eu à déterminer les cas exceptionnels, on a renvoyé au conseil d’état, ce qui est une façon de renvoyer aux calendes grecques, car le conseil d’état s’excusera avec toute raison en disant que, s’il est une assemblée qui puisse, en connaissance de cause, énumérer les branches de l’industrie auxquelles il convient d’appliquer cette surveillance obligatoire et signaler les moyens matériels de l’exercer, c’est évidemment le conseil, général, qui représente l’industrie française.

En résumé, on avait mal taillé au conseil général sa besogne. On lui avait jeté une avalanche de sujets, mais de cette multitude si l’on retranche : 1o ceux sur lesquels il avait cessé d’être nécessaire que le conseil discutât, parce qu’ils avaient été préalablement portés à un état d’instruction qui était suffisant et jugé tel par l’administration ; 2o les affaires relativement oiseuses ou inopportunes, faute d’avoir un lien assez direct avec les embarras de la situation ; 3o les menus détails que les bureaux pouvaient, sans outrecuidance aucune, se réserver, il ne reste à peu près rien. Voilà pourquoi la session n’a été qu’un avortement.

Il me reste à examiner l’esprit général des documens distribués au conseil par l’administration et des solutions par elle indiquées.

La plupart des intelligences aujourd’hui ont un faible plus ou moins avoué pour de certaines doctrines bien peu dignes d’un pareil succès. Nous sommes enclins à nous exagérer extrêmement les pouvoirs légitimes de l’état, et à vouloir qu’une foule d’actes au sujet desquels l’autorité et la loi devraient s’en remettre à notre libre arbitre ou à notre appréciation mutuelle de la justice soient l’objet de règlemens impératifs qui nous lient les mains. Nous ne croyons plus à la Providence qui veille du haut des cieux ; mais, à sa place, nous avons inauguré une abstraction que chacun arrange un peu à sa guise, comme les Indiens leur Manitou. C’est l’état. Individuellement et en masse, nous attendons de l’état notre prospérité, notre existence. Il faut qu’il procure des commandes à celui-ci qui est manufacturier, qu’il occupe les bras de celui-là qui est un simple ouvrier, qu’il donne une place à ce troisième qui a reçu de l’éducation, mais n’a pas de rentes dont il puisse vivre. Il faut que ce soit l’état qui répare le dommage quand nous en avons éprouvé. Nous déposons à ses pieds toute dignité, toute indépendance. Les intérêts particuliers sollicitent de lui des lois pour changer à leur profit, même au détriment de la société, le cours naturel des choses, pour modifier les relations naturelles des classes et des individus,’, c’est-à-dire qu’on lui demande ouvertement l’injustice, comme si elle était permise au législateur. « Les lois, a dit Montesquieu, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature