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mode du jour, » a dit un écrivain des plus religieux (Daniel Neal, l’historien des puritains). Ceci encore, il ne faut pas l’oublier. Les officiers prêchaient, les femmes montaient en chaire, les enfans recevaient les prénoms de Dieu soit loué par… ou le Seigneur a pour serviteur… Chacun expliquait les volontés du Très Haut comme s’il eût eu en main le registre des décisions divines. Le parlement et l’assemblée de Westminster décrétaient des jeûnes en spécifiant avec une exactitude de teneurs de livres comment c’était pour tels ou tels motifs et non pour d’autres que le courroux céleste était déchaîné contre l’Angleterre. Dans un pareil milieu, l’enthousiasme religieux de George Fox paraissait si peu une anomalie, qu’en 1651, durant sa captivité à Derby, le parlement lui fit offrir le grade de capitaine dans les troupes qu’il levait alors pour combattre le roi[1]. Je ne citerai point toutes les autres marques d’estime que lui donnèrent de hautes intelligences. Un seul fait en dit assez. Lors de sa première entrevue avec Cromwell, le protecteur lui prit affectueusement la main, et lui adressa, les yeux humides, ces paroles d’adieu : « Reviens me voir ; si chaque jour nous passons une heure ensemble, nous nous rapprocherons de plus en plus l’un de l’autre. » Qu’est-ce à dire ? que Fox, loin d’être une anomalie, était, sous plus d’un rapport, le contraire même d’une anomalie : à savoir un prophète populaire, ou, si l’on veut, une exagération de son temps. Le siècle lui avait donné sa direction, et l’ignorance avait poussé

  1. Fox répondit à ces avances qu’il ne voulait prendre les armes ni pour ni contre le roi et qu’il foulait aux pieds l’honneur qui lui était fait. Néanmoins il ne semble pas qu’il eût encore eu aucune révélation positive contre la guerre, car l’armée de Cromwell compta des quakers dans ses rangs jusqu’en 1654, époque à laquelle ils furent congédiés pour avoir refusé de prêter un serment de fidélité, et, en 1659, Fox se plaignait dans une lettre « de ce que tant de vaillans capitaines et soldats, dont chacun, disait-on, valait plus de sept hommes, avaient été renvoyés en raison de leur fidélité envers le Seigneur. » En cette même année si féconde en complots, le comité de sûreté invita George Fox à prendre les armes, et ce fut alors seulement, il paraîtrait, qu’il lui fut enjoint d’engager son peuple à n’appuyer aucun des partis « qui s’étaient tournés contre le juste, et que le juste en conséquence déchaînait l’un contre l’autre, de peur que les enfans du Seigneur ne succombassent au milieu des incirconcis. » Peu après, il présenta au roi une renonciation à toute guerre et violence de la part des chrétiens appelés quakers. (Voir Edinburg Reuiew, avril 1848.) Qu’il ait cru, comme il le dit dans cette déclaration, que ses principes avaient toujours été les mêmes, cela ne saurait faire doute ; mais il y a lieu de penser que les quakers modernes, en se prononçant même contre la légitime défense, n’ont peut-être pas interprété avec justesse l’esprit de ses paroles. Comme il est facile de le voir, d’après une lettre fort étrange qu’il adressa à Cromwell, le mépris des querelles humaines et de leurs causes entrait pour beaucoup dans son témoignage contre la guerre. « Mes armes ne sont pas charnelles, mais spirituelles, écrivait-il ; je suis mort à toutes ces choses, et je suis prêt à sceller cet aveu de mon sang, moi que le monde nomme George Fox, et qui suis envoyé pour déposer contre toute violence et pour convertir les hommes des ténèbres à la lumière et pour les arracher aux occasions de toute guerre. » Fox protestait contre le métier des armes, parce qu’il croyait pouvoir rendre les hommes parfaits.