Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/1062

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui désirait le plus sincèrement s’en accommoder. Lors même que le roi se résignait à son rôle, l’époux outragé dans ses affections, le père menacé dans ses enfans, le chrétien violenté dans sa foi caressait de vagues pensées de délivrance, et devenait le complice involontaire des hommes qu’il avait le plus énergiquement blâmés. Aucun prince n’avait été plus naturellement prédestiné que Louis XVI à ce rôle de roi bourgeois que semblait lui assigner l’admirable simplicité de sa vie, et ce fut pourtant ce rôle, qui aurait assuré le salut de la révolution, qu’il se trouva contraint de répudier, tant ceux qui avaient intérêt à le lui voir jouer le lui rendirent difficile !

L’esprit philosophique avait poussé les classes moyennes vers la persécution religieuse ; leur inexpérience politique les conduisit vers la guerre étrangère : double faute dont les conséquences allaient amener la ruine de l’œuvre à laquelle elles avaient rattaché toutes les espérances de leur suprématie.

La révolution française avait été pacifique à ses débuts comme toute idée qui, en se produisant dans le monde, se croit assez forte pour le dominer ; mais, aigrie par les obstacles, elle avait bientôt imputé à autrui des difficultés dont la plupart avaient été suscitées par elle-même. Elle avait accusé et menacé l’Europe, quelle que fût la sympathie avec laquelle certains gouvernemens eussent accueilli cette première application des doctrines encyclopédiques, quelle que fût la réserve avec laquelle les autres avaient manifesté leur improbation ou leurs doutes. À la première période de la révolution, l’idée d’une intervention armée répugnait profondément aux principaux gouvernemens européens. L’intérêt d’état avait promptement arrêté les velléités guerrières de Catherine II, et la main d’Ankastroem avait tari dans le sang de Gustave III sa pensée chevaleresque. Léopold, le réformateur philosophe de la Toscane, devenu sur le trône impérial le successeur du philosophe Joseph II, souffrait sans doute des humiliations de la reine sa sœur, mais il n’inclinait aucunement à les venger par les armes. En Prusse, le roi se préoccupait seul des progrès de la révolution française, et s’indignait de ses excès. Ses conseillers, sortis de l’école de Frédéric II, suivaient avec bien plus de complaisance que de colère la grande expérience que la France faisait alors sur elle-même. Ces hommes d’état étaient d’ailleurs trop imbus des traditions prussiennes pour ne pas répugner à une action concertée avec l’Autriche ; ils désiraient rompre les liens qui depuis trente ans attachaient la France à la cour de Vienne, bien plus que de s’unir à celle-ci pour écraser la nation dont l’alliance importait tellement à la prépondérance de leur patrie dans l’empire germanique. Enfin, l’empire lui-même se sentait si peu préparé pour une guerre offensive, si peu propre à une croisade politique qui exposerait sa vieille organisation au contact de toutes les idées modernes, que la plupart des électeurs, quels que fussent leurs