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JACOBUS, redressant brusquement la tête.

L’avez-vous vu ?

Mme D’ERMEL.

Non, Dieu merci.

JACOBUS, reprenant sa pose méditative.

Eh bien ! alors, pourquoi en parlez-vous ?

Mme D’ERMEL.

J’ai eu tort. Remettez-vous.

JACOBUS.

Je n’ai pas besoin de me remettre, madame… je suis tout remis : seulement je ne conçois pas que l’on puisse causer comme un moulin, quand on joue un jeu sérieux. C’est à vous, madame.

Mme D’ERMEL.

Vous le faites exprès, hein ?… une, deux, trois, et à dame !

JACOBUS.

C’est inoui !… Au surplus, quand on se fait une affaire de conscience de distraire, de troubler l’esprit de son partner !…

Mme D’ERMEL.

Attrape, mon infante !… (Elle chantonne, en étudiant le damier :)

Petits oiseaux, troupe amoureuse,
Ah ! par pitié, ne chantez pas !
Celui qui me rendait heureuse
Est parti pour d’autres climats !

Voyons, qu’est-ce que je vais faire de ma dame à présent ? Ce n’est pas le tout que d’avoir une dame… le difficile est de la garder… N’est-il pas vrai, monsieur Jacobus ?.. Je la mets là… — À propos, pourquoi vous appelez-vous Jacobus ? voilà un temps infini que je veux vous demander cela… Jacobus ! ce n’est pas du français, hein ?

JACOBUS.

Je vous ai dit, plutôt vingt fois qu’une, que ma famille était d’origine hollandaise.

Mme D’ERMEL.

Ah ! c’est donc du hollandais, Jacobus ?

JACOBUS.

Non, madame : c’est du latin.

Mme D’ERMEL.

Eh bien ! mais alors… ça ne me satisfait pas du tout, votre explication.. il y a plus : ça m’embrouille… Voulez-vous jouer néanmoins ?

JACOBUS.

À quoi bon ? Je suis perdu.

Mme D’ERMEL.

Qui sait ? la fortune est femme, docteur… elle me traite trop bien pour n’être pas tout près de me trahir.