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qu’on s’en doute, on n’a jamais à vingt-cinq ans l’imagination suffisamment honnête… et spirituelle : hélas ! on prête malgré soi aux anges eux-mêmes de beaux yeux et de charmans visages, pour avoir plus de commodité à les aimer et plus de plaisir à être aimé d’eux ; on ne peut s’élever au-dessus des séductions visibles de la jeunesse, et il semble qu’une fois qu’elles seront dissipées, le devoir ira tout seul… Eh bien ! on se juge trop mal ! la nature humaine est moins terrestre qu’on ne croit… Les âmes toutes seules, dégagées du reste, ont aussi leurs penchans, leurs attraits… elles ont, comme les fleurs, leurs sexes différens et sympathiques, et la vieillesse nous fait mieux comprendre les attachemens du ciel. — Pourtant, là, voyons, est-ce que j’aimais ce vieux médecin ? Je n’en sais rien… cela est si ridicule… que véritablement je n’en sais rien… (Elle porte son mouchoir à ses yeux.) Je devais ce sacrifice à ma foi outragée, à ma piété : je le fais ; ce sera le dernier qui me coûtera avant celui de la vie… (Elle s’agenouille sur un prie-Dieu et reste un instant prosternée. — Se relevant :) Je n’entends plus aucun bruit de l’autre côté… il est parti… tant mieux ! (Elle essaie de détacher les agrafes de sa robe.) Je ne peux pas… je n’ai pas le courage de me défaire… je vais me jeter sur mon lit comme je suis… (Elle se couche.) Ah ! que le matin sera le bienvenu !… La nuit est un surcroît à toutes les douleurs… elle met du noir sur du noir… (La porte du boudoir s’entrouvre doucement.)

JACOBUS, du dehors.

Madame, je m’en vais.

Mme  D’ERMEL, vivement à part.

Il est encore là ! (Haut.) Vous dites ?

JACOBUS.

Je n’entre pas, madame. Vous êtes couchée sans doute ?

Mme  D’ERMEL.

J’ai tout lieu de le croire. N’entrez pas ; mais vous pouvez ouvrir la porte tout-à-fait. Que me disiez-vous ?

JACOBUS

Que la pluie a cessé, madame, et que je m’en vais.

Mme  D’ERMEL.

Est-ce que nous ne nous reverrons pas, mon ami ?

JACOBUS.

Il ne tient qu’à vous, madame.

Mme  D’ERMEL.

Bon ! Mettez-vous un peut à genoux en ce cas-là ; je vous verrai fort bien d’ici.

JACOBUS.

Madame, c’est impossible.

Mme  D’ERMEL.

Pourquoi ?

JACOBUS.

C’est une chose que je ne ferai pas.

Mme  D’ERMEL.

Il faut donc nous dire adieu, car je tiendrai ma parole.