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JACOBUS.

Adieu, madame (il fait deux pas et revient dans son coin.) Vous seriez la première à en rire.

Mme D’ERMEL.

Il se peut. Essayez.

JACOBUS, frappant le parquet de sa canne.

Jamais, madame, jamais !

Mme D’ERMEL.

Eh bien ! fermez ma porte. Je me demande même pourquoi vous l’avez ouverte, à moins que ce ne fût pour m’offenser de nouveau.

JACOBUS.

Quant à vous offenser, c’est un trait dont je suis incapable, même en rêve, vous le savez bien.

Mme D’ERMEL.

Bah ! Quand vous me donniez à entendre, il n’y a qu’un instant, que Dieu était le diable et que j’étais hideuse, pensiez-vous faire votre cour à une femme et à une chrétienne ?

JACOBUS.

J’ai prétendu dire simplement que la vieillesse était un âge maudit et que j’étais laid, et je m’y tiens.

Mme D’ERMEL.

Moi, je dis que la vieillesse est un âge qui en vaut un autre, et que vous êtes beau.

JACOBUS.

Si vous ne me retenez, madame, que pour m’accabler sous le feu de vos railleries…

Mme D’ERMEL.

D’abord, je ne vous retiens pas ; ensuite, je ne raille point : je vous trouve beau. Je sens bien qu’il n’est pas dans la bienséance ordinaire qu’une personne le mon sexe avantage aussi directement un individu du vôtre ; mais la considération que cet entretien doit être le dernier entre nous fait taire des scrupules que j’eusse tenus autrement pour obligatoires… Je vous trouve beau, dis-je, malgré ma glace, qui, en vous montrant tout à l’heure vos traits défigurés par des mouvemens indignes de votre âge, vous a calomnié votre vieillesse… J’aime à croire, sur votre parole, que vous avez été charmant autrefois… mais je doute qu’aucune des grâces de votre adolescence ait valu ce caractère qu’impriment aujourd’hui sur votre front les cicatrices du combat de la vie et le reflet de l’immortalité prochaine. Si vous n’avez pas conscience de cette beauté, pourquoi, je vous prie, portez-vous si haut votre tête blanche ? Osez donc me dire que vous ne trouvez pas plaisir et gloire à exercer ce patronage incontesté d’une vieillesse honorée, cette dignité naturelle qui récompense la vie d’un homme de bien ? Osez me dire que votre âme est faite de telle façon qu’il vous plait d’échanger à cette heure le murmure du respect public, l’estime, la confiance, la vénération qui vous entourent contre le chuchotement de boudoir et des succès d’alcôve !