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populations danoises avaient fini par concevoir des alarmes, et que les paysans du Schleswig septentrional, en même temps que la bourgeoisie de Copenhague, avaient cru devoir avertir la royauté et la solliciter de prendre des mesures pour prévenir la dissolution du royaume ? Enfin la révolte qui éclata le 23 mars à Kiel n’a-t-elle pas été spontanée ?

Les fauteurs de ce mouvement ont essayé de le justifier ; ils ont répété ce qu’ils avaient dit dès l’origine, pour soulever le peuple, que le roi de Danemark, dominé par le parti danois, avait cessé d’être libre, qu’un coup d’état menaçait de frapper les duchés, qu’ils n’avaient voulu que prendre leurs précautions pour l’empêcher. Ces craintes étaient simulées : ce n’était pas au moment où le mot de liberté mettait l’Europe en feu, ce n’était pas au commencement d’un règne qui s’annonçait de lui-même sous les couleurs les plus libérales, que le gouvernement danois, la veille tolérant jusqu’à l’imprudence, pouvait avoir le projet de porter atteinte à la situation des duchés. Il faut donc que les gens du Schleswig-Holstein se résignent à être tenus pour des insurgés ; c’est le nom sous lequel ils sont destinés à figurer dans l’histoire confuse et vulgaire de ce temps : encore seront-ils rangés parmi ceux qui auront montré le moins d’originalité et de vigueur.

Voilà les hommes pour lesquels l’écrivain anonyme conseille à la France d’oublier ses traditions d’amitié envers le Danemark. M. Schleiden professe un grand dédain pour la politique de sentiment ; il semble ne pas comprendre que l’on s’intéresse à un petit état qui ne peut jouer dans le monde qu’un rôle secondaire. Il oublie que ce pays renferme une des populations les plus braves et les plus éclairées de l’Europe. Ne parlons point du sang que le Danemark a loyalement versé au temps de l’empire français, et de celui qu’il a prodigué avec un enthousiasme chevaleresque dans sa dernière guerre contre l’Allemagne. N’a-t-il pas brillé aussi dans les arts ? n’a-t-il pas enfanté le second des sculpteurs de ce siècle et l’un des poètes les plus harmonieusement inspirés de notre époque ? Mais, sans parler des raisons de sentiment qui rendent le Danemark digne de toute l’attention de la France, les raisons politiques qui militent en sa faveur ne sont pas moins évidentes. Copenhague occupe dans le nord une position analogue à celle de Constantinople en Orient. Il importe donc que ces points stratégiques soient maintenus en la puissance d’états qui ne soient ni assez forts pour en abuser, ni assez faibles pour les laisser tomber en des mains plus redoutables. Ces considérations empruntent une force nouvelle à la situation particulière que les traités de 1815 ont faite à la France sur le Rhin. En supposant que ces traités dussent être améliorés dans un esprit plus favorable aux idées de race, ces changemens devraient-ils avoir lieu d’abord en faveur de l’Allemagne au profit de laquelle les conventions de 1815 ont été faites ? La France n’aurait-elle pas le droit d’entraver ces modifications jusqu’au moment où elle serait en mesure de trouver de son côté des dédommagemens ? Pour que l’Allemagne soit autorisée à s’annexer de nouveaux territoires au nom de l’idée de nationalité, il faut que la France puisse elle-même jouir du bénéfice de cette idée : c’est un principe du droit des gens ; les traités ne peuvent pas être changés ait profit de ceux en faveur desquels ils ont déjà été établis : or la France, tout en détestant les traités de 1815, suivant l’expression de M. Thiers, les observe ; bien qu’un manifeste fameux les ait déclarés nuis en droit, ils existent encore