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abominations, et le culte établi et les croyances de toutes les autres communions. Ce n’était pas seulement une noble conviction, c’était encore une folie résolue à ne pas tenir compte de l’impossible, qui poussait une prédicante quakeresse à aller jusqu’à Andrinople catéchiser le sultan Mahomet IV, ou qui excitait un ministre important de la société, Samuel Fisher, à faire entendre au parlement un pareil langage : « Le poids de la parole du Seigneur Dieu du ciel et de la terre, tel qu’il est tombé sur moi le vingt-deuxième jour du mois dernier, et tel qu’il m’oppresse encore, m’oblige à te parler en son nom, à toi, Olivier Cromwell,… à vous tous, députés de l’Angleterre, de l’Écosse et de l’Irlande… Comme vous n’êtes ni trop élevés, ni trop grands, ni trop saints pour que le Seigneur vous adresse la parole, et comme vous ne voulez pas vous exposer au crime de dire aux voyans : Ne voyez pas, — aux prophètes : Ne prophétisez pas, ne nous prophétisez pas la justice et la vérité ; mais prophétisez-nous les choses agréables, prophétisez-nous le mensonge… vous tous, je vous somme, au nom du Dieu vivant, que cela vous plaise ou vous déplaise, d’écouter sans interruption et sans opposition la parole du Seigneur. »

Que les persécuteurs eussent plus ou moins contribué à exaspérer ces ardeurs, il n’en fallait pas moins que les quakers s’amendassent ou fussent anéantis, car les nécessités, plus fortes que toute volonté, ne pouvaient s’arranger d’une secte aussi convaincue de son infaillibilité et aussi résolue à ne souffrir aucune contradiction, à ne laisser personne en paix.

Les fautes et les illusions des premiers quakers retombèrent en tout cas lourdement sur leur tête : l’obstination de leurs adversaires répondit à leur obstination. Jusqu’au protectorat, les haines implacables qu’ils avaient soulevées trouvèrent contre eux un arsenal d’armes terribles dans les lois décrétées par le long-parlement. La liberté de conscience établie par Cromwell ne diminua en rien le nombre des martyrs. Au lieu de poursuivre les disciples de Fox comme hérétiques, on les poursuivit comme perturbateurs. Adressaient-ils une exhortation à quelque congrégation, ils étaient arrêtés pour avoir interrompu le culte public ; portaient-ils témoignage dans la rue, ils étaient accusés d’avoir excité des tumultes ; pour avoir gardé leur chapeau en présence des magistrats, on les condamnait à des emprisonnemens, à des saisies, à des amendes exorbitantes. Les lois contre le vagabondage et la profanation du sabbat servaient d’ailleurs à leurs ennemis pour les faire incarcérer et fouetter en place publique. Il en fut à peu près de même au retour de Charles II, ou du moins la liberté des cultes promise par sa déclaration de Bréda ne leur valut qu’un court répit. Comme ils avaient été accusés de vouloir renverser la république, on les accusa de vouloir renverser le trône, eux qui, loin de conspirer, étaient plutôt coupables