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de fait ; ils sont encore la règle des rapports internationaux, et nous semblons encore loin du temps où ils pourront être brisés et refondus. Certes l’Allemagne n’est point disposée à renoncer à son empire sur la rive gauche du Rhin ; pourquoi donc le veut-elle étendre dans le Schleswig ? La France ne peut pas le permettre, sans faire une complète abnégation de ses intérêts et de ses droits.

M. Schleiden semble attacher une grande importance à infirmer la garantie de possession accordée par la France au roi de Danemark en 1720. Comment, dit-il, recourir à des argumens de cette date ? On pourrait trouver l’objection étrange de la part d’un publiciste et d’un parti qui, pour principale pièce à l’appui de leurs prétentions, n’ont encore allégué que des chartes du XIVe et du XVe siècle ; mais, sans remonter jusqu’à la garantie très sérieuse et très valable de 1720, nous trouverions dans les traités de 1815 eux-mêmes de bonnes raisons de vouloir le maintien de l’unité danoise. C’est bien le moins que nous ayons en ce point le bénéfice d’arrangemens qui, à tant d’autres égards, nous sont onéreux. Le doute est impossible ; les faits parlent d’eux-mêmes et avec une telle évidence, que la division des partis, si féconde en dissidences de toute nature, ne saurait elle-même créer à ce sujet de divergences d’opinions. Aussi est-ce là peut-être la seule question sur laquelle tous les esprits se soient entendus au milieu de nos querelles intestines, et, en dépit de l’influence que les écrits de M. Schleiden auront pu exercer sur quelques écrivains obscurs, espérons que la même unanimité subsistera jusqu’à la solution du différend.


Souvenirs de l’année 1848, par Fanny Lewald (Erinnerungen aus dem Iahre 1848)[1]. — Ce livre, malgré son titre, n’est point à proprement parler un livre de politique. Mlle Fanny Lewald est une personne d’un sens très vif et presque toujours très droit, qui, ne visant point à régenter le monde, s’est trouvé l’esprit assez dégagé pour le regarder marcher avec quelque sang-froid dans cette mémorable année 1848, où tant de gens s’étaient donné la mission de le conduire.

La nouvelle de la révolution du 24 février l’a surprise à Brème ; elle est venue voir à Paris les débuts de la république, mais sans oublier d’admirer en passant le carnaval de Cologne et les charmans paysages que le chemin de fer traverse entre Verviers et Liége. À Paris, elle se laisse bien un peu enguirlander par les airs chevaleresques des héros de barricades qui tendent la main aux belles dames pour les aider à monter sur leurs pavés, et elle n’est pas tout-à-fait exempte d’un des sentimens les plus curieux qui aient caractérisé l’hébétement universel de ce temps-là, je veux parler de la singulière reconnaissance dont les citoyens paisibles honoraient leurs concitoyens qui ne l’étaient point, parce que ces derniers, à condition toutefois d’être les maîtres, daignaient ne pas décréter le pillage et la guillotine. Sauf ces faiblesses dont l’expression ne manque pas de piquant sous la plume d’une étrangère, Mlle Lewald reste d’ordinaire assez à court d’enthousiasme ; on dirait l’attitude d’un soldat l’arme au pied devant une extravagante fantasia. En sa qualité de femme de lettres, elle a cependant l’occasion et même quelquefois l’obligation de frayer

  1. 2 vol. Brunswick, chez Frédéric Vieweg, 1850 ? – Paris, chez F. Klincksiek, rue de Lille, 11.