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toujours impartial, mais il a une vigueur pittoresque qui ne s’allierait pas avec une admiration béate, et cette fermeté de style qui fait honneur à l’écrivain révèle aussi le sens critique de l’observateur. Mlle Lewald nous dit elle-même qu’elle voudrait nous faire voir son monde comme dans une chambre obscure. J’aime mieux la sérénité de cette méthode très objective que le parti pris d’un raconteur qui s’exaspère ou s’enthousiasme d’un point de vue trop subjectif. On y gagne toujours d’éviter les déclamations, le plus mortel ennui qu’il y ait sur terre, particulièrement quand elles sont en langue allemande, la langue française étant à peu près la seule qui se prête adroitement à cet emploi.

Pour compléter l’idée que l’on peut maintenant se former des deux volumes de Mlle Lewald, il faudrait encore mettre l’œil à la fenêtre de cette chambre obscure où elle a tâché de disposer ses personnages, ainsi qu’elle se souvenait d’avoir contemplé jadis en pareille machine l’humanité tout entière « depuis Adam et Ève jusqu’à l’empereur Napoléon et au feld-maréchal Blücher, depuis la mort d’Abel jusqu’à l’assassinat de Kotzebüe. » Commençons par les figures qui sont le plus de notre connaissance. En voici une que Mlle Lewald laisse se peindre elle-même ; tout ce qu’elle en dit de son propre chef, c’est qu’elle a dû cette liaison à certaine dame russe de haut parage, et la qualité de l’intermédiaire lui répond de reste, ajoute-t-elle, que la personne avec laquelle on l’a liée ne saurait être du commun. Puis, pour tout souvenir de cette amitié, Mlle Lewald cite in extenso la lettre qui l’a commencée. Je ne puis croire que cette citation ne soit pas une malice ; elle est du moins un portrait qu’il eût été charitable de ne pas exposer avec tant de complaisance, l’auteur s’étant représenté là un peu trop en pied. La citation vaut cependant la peine qu’on la reproduise ; c’est une bonne page de plus dans la littérature des bas-bleus socialistes ; on y sent un mélange de réclame et de grandiose tout-à-fait caractéristique de l’espèce. Quant au nom de la correspondante ainsi sacrifiée par l’indiscrétion passablement ironique de Mlle Lewald, le lecteur le retrouvera plus d’une fois au bas des vieilles images du Charivari.

« Mademoiselle, l’amie selon mon cœur, celle que j’appelle mon bon ange. (la princesse russe), a désiré en partant que je fisse votre connaissance. Je serais allée sans retard vous porter sa lettre, si je pouvais sortir, mais je rédige et dirige un journal quotidien, la Voix des Femmes, et je suis esclave de mon œuvre. Vous qui êtes libre, venez à moi, et, femme de lettres, pardonnez-moi de vous appeler soeur. Nous avons toutes besoin de nous parler, de nous entendre ; notre mission de paix commence ; si nous sommes fortes, l’humanité sera grande. Venez à nous ! Je vous adresse un numéro de notre, de votre journal. Veuillez le lire, veuillez le faire connaître ; il faut qu’il ait des appuis. Toutes ensemble, nous devons concourir à sa rédaction sans distinction de patrie. Il n’y a que des sœurs dans l’humanité. »

N’a-t-on pas aussi rencontré dans l’œuvre éphémère de nos modernes caricaturistes un type de matrone lettrée qui domine d’un air superbe deux ou trois débutantes rangées autour d’elle et porte fièrement sur sa forte carrure une tête à expression, ornée de cheveux courts ? Mlle Lewald a beaucoup vu le modèle primitif, mais tout ce qu’elle nous rapporte de ses conversations, c’est une vignette pour laquelle la muse a certainement donné séance. La vignette est plus flatteuse que les charges auxquelles nous sommes habitués ; la voyageuse