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REVUE DES DEUX MONDES.

soldats de Mayenne et les Espagnols blessés. Après l’entrée d’Henri IV, Mme Accarie, retirée dans son intérieur, se consacra exclusivement à l’éducation de ses enfans et à la pratique des bonnes œuvres. Le souvenir de sa charité s’est transmis traditionnellement dans le quartier qu’elle a habité, et l’on conserve d’elle, à Saint-Merry, un portrait authentique qui est en grande vénération. Mme Accarie, devenue veuve, entra dans la communauté des Carmélites, et mourut au couvent de Pontoise en 1618.

Dans cette vie pleine de vertus, mais dépourvue d’incidens, le peintre a choisi pour motifs l’exercice des trois principales vertus dites théologales : la foi, la charité, l’espérance. Il a représenté, dans sa première composition, Mme Accarie menant au sacrement de la communion ses enfans et ses domestiques ; dans la seconde, elle soigne les blessés ; dans la troisième enfin, la bienheureuse Marie, étendue sur son lit de mort, au milieu de ses religieuses, voit le ciel s’ouvrir et les anges venir à sa rencontre.

L’œuvre de M. Cornu décèle, au premier aspect, une juste entente des conditions de la peinture murale, conditions dont semblent ne pas se douter certains artistes, qui composent et exécutent un sujet sur un mur absolument comme s’il devait être placé dans un cadre de bois doré. On y trouve la sobriété du coloris, la simplicité et le calme du dessin, et surtout l’unité de composition et un certain agencement des groupes et des personnages qui met en accord les lignes du tableau avec celles de l’architecture qui l’encadre. Dans la communion et dans la visite aux soldats blessés, la figure de Mme Accarie, objet principal, occupe sans affectation le centre de la composition ; elle vient bien en avant et relie harmonieusement entre eux les personnages placés à droite et à gauche. Ces personnages sont en général naturellement posés, d’une attitude vraie et d’un air de tête bien choisi. Dans la mort de la bienheureuse Marie, qui occupe le troisième compartiment, au-dessus de l’autel, deux ou trois têtes d’anges rappellent le grand style des maîtres et la bonne tradition italienne. Il en est de même de la sainte Thérèse, figure à la fois sévère et gracieuse, noblement drapée dans son manteau brun de carmélite. Nous demanderons cependant à M. Cornu si le bras gauche de sa sainte Thérèse n’est pas un peu court, et surtout si la main qui le termine n’est pas d’une petitesse un peu exagérée.

En somme, ce qui distingue particulièrement M. Cornu, c’est l’alliance d’une manière noble, soutenue et inspirée par l’étude réfléchie des maîtres avec un sentiment naïf, une idée toujours simple et vraie : chez lui pas d’emphase ou de prétexte de style, rien de théâtral, et il ne vise pas plus au pittoresque qu’a l’ascétisme archaïque, deux écueils entre lesquels les peintres modernes passent rarement sans encombre ; il est lui-même, et, dans notre époque, cela vaut la peine d’être remarqué. Messieurs du clergé et de la fabrique de Saint-Merry, qui font preuve d’un goût si louable en décorant successivement de peintures à fresque les murs de leur église, ont eu la main heureuse cette fois, et peuvent à bon droit s’applaudir d’un travail qui réunit à la gravité que commandent le lieu et le sujet la simplicité savante qui rend une œuvre d’art accessible à la foule aussi bien qu’aux esprits éclairés.



V. DE MARS.