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Nous sommes, je ne puis dire le plus raisonnable des peuples, mais le plus raisonneur et le plus logicien ; il était donc impossible que les ouvriers ne se réclamassent pas du principe de l’égalité devant la loi, afin qu’il eût pour eux spécialement des conséquences politiques plus ou moins semblables à celles qu’il a eues pour la bourgeoisie de 1814 à 1848.

Quand la loi a dit à un homme qu’il est arrivé à l’âge de majorité, le tuteur ne saurait indéfiniment le retenir sous sa direction étroite. À force de ménagemens et de bons procédés, il peut bien déterminer le ci-devant pupille à accepter, quelques mois, quelques années, des conseils officieux : il peut en obtenir, tout le reste de ses jours, des témoignages de reconnaissance et de respect ; mais le pupille n’en est pas moins son maître, et bientôt il tient à ce que ce soit constaté pour tout le monde. L’oiseau, dès qu’il a ses plumes, ne peut demeurer dans le nid et part à tire d’aile ; il reste à la nature humaine quelque chose de cet instinct.

Si la noblesse, au lieu de blesser le tiers-état par l’exclusif et le hautain de ses prétentions, lui avait témoigné de l’estime et de la condescendance, et qu’elle lui eût cédé sur quelques-uns des points où c’était de la plus palpable justice, l’esprit de réforme n’eût probablement pas éclaté avec la fureur dévastatrice qui caractérisa la révolution française ; mais des actes du genre de l’ordonnance, intervenue sous Louis XVI, qui enjoignait, avec une recrudescence de rigueurs, que nul qu’un noble ne fût officier dans l’armée ; mais la résistance anti-patriotique de la noblesse à porter sa part proportionnelle de l’impôt ; mais les mille détails par lesquels les privilégiés s’obstinaient à faire sentir leur esprit de caste, tout cela avait comblé la mesure : le vase devait déborder, et dès qu’il fut constaté que le prince qui occupait le trône était un esprit sans portée, un caractère sans force ni volonté, une révolution fut inévitable. On s’aventurerait même fort en disant que, si la noblesse avait eu d’autres allures envers le tiers, la révolution eût pu en être reculée ; on pourrait plutôt soutenir qu’elle en eût été avancée. Les événemens, pareils à la marée montante, poussaient le tiers-état. Les tardives concessions de la noblesse n’eussent probablement servi qu’à accélérer cette marche ascendante. Seulement on peut croire que, dans ce cas, la révolution n’eût pas laissé dans nos annales la trace de ruines et de sang qui marque la place de la première république. L’unité de loi et l’égalité de droits n’en fussent pas moins devenues les principes fondamentaux de la constitution française.

À bien plus forte raison aujourd’hui, après les révolutions antérieures qui ont tracé la voie en conquérant à la bourgeoisie des positions politiques, après la révolution de 1848 qui a conféré la domination au