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l’appareil a éclaté, non sans meurtrir les gouvernemens qui auraient voulu le perpétuer, et un système représentatif, qui fait une part à toutes les classes sans exception, en a pris la place. En cela, les soins empressés et intelligens du feu roi de Prusse et de M. de Metternich ont porté les seuls fruits qu’ils pussent produire. Si, comme on le dit, l’illustre chancelier de l’empire d’Autriche a été saisi d’étonnement quand l’explosion l’a renversé du pouvoir et l’a lancé jusque par-delà la Manche, il est injuste envers lui-même. Quoi ! en Prusse et en Autriche, le gouvernement avait tout fait pour répandre l’instruction et les habitudes d’un travail intelligent parmi les populations ; on leur avait donné la force morale ; on avait favorisé l’acquisition par la bourgeoisie d’un grand capital, c’est-à-dire de ce qui constitue la puissance matérielle dans une société civilisée ; on avait détruit toutes les illusions au sujet de l’antique ordre social, en retirant à peu près tous les privilèges nobiliaires ; on avait mis les roturiers en position d’affirmer que même le métier de la guerre, autrefois l’apanage tout spécial de la noblesse, ils l’entendaient aussi bien qu’elle ; on avait formé des citoyens, et on a été surpris de rencontrer autour de soi des hommes revendiquant leurs droits de cité, le pouvoir de s’immiscer dans le gouvernement ! C’est votre étonnement même qui est fait pour exciter la surprise.

En Prusse, les choses avaient pris, depuis 1840, un tour particulier qui mérite d’être noté. Frédéric-Guillaume III mourut au bon moment. Le respect et la reconnaissance de la nation prussienne tout entière ont escorté son cercueil. Son fils, un des princes les plus instruits et les plus spirituels de l’Europe, vit bien que le temps du despotisme éclairé était passé, et il consentit à donner une constitution, tout en maugréant contre les feuilles de papier ; mais son érudition lui porta malheur : il avait dans l’esprit trop de réminiscences du moyen-âge ; il voulut en reproduire quelques traits, et, parmi les hommes qui ont le coup d’œil politique, personne ne doutait de l’avortement de cette tentative de restauration archéologique, quand la révolution de février ébranla toute l’Europe et détermina l’écroulement de cet édifice bizarre. Nos admirateurs du moyen-âge devraient faire comme le roi de Prusse, profiter de la leçon.

Il pourra être objecté que les révolutions de Prusse et d’Autriche n’ont rien à faire ici, que ce ne sont que des événemens fortuits, un contre-coup accidentel de la révolution de février, car il y a des gens qui en sont là ; il n’en manque pas qui considèrent 1830 et même 1789 comme des émeutes. La révolution de février n’a pas été étrangère aux révolutions de la Prusse et de l’Autriche ; néanmoins elle n’a fait que précipiter le changement par l’audace qu’elle a inspirée aux novateurs. Par l’ascendant qu’elle a momentanément donné à des doctrines