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exagérées et à des passions subversives, elle a rendu la crise violente et très douloureuse ; toutefois, avant la révolution de février, il n’y avait pas de force humaine qui pût empêcher désormais la Prusse et l’Autriche de faire l’expérience complète du système représentatif. Ce serait grandement se méprendre sur ces deux puissantes nations, ce serait leur manquer de respect que de ne voir dans leurs révolutions qu’un misérable plagiat. La preuve que ce ne sont pas simplement des orgies d’étudians répétant les scènes de Paris, à peu près comme à Valenciennes on fait en carnaval une mascarade à l’instar de Bruxelles ou de Gand, c’est que les souverains eux-mêmes de la Prusse et de l’Autriche, lorsqu’ils ont eu secoué le joug des émeutiers et la tutelle des exaltas, se sont inclinés devant la démocratie, et l’ont admise à partager l’empire avec eux. Restituons aux événemens du dehors leur véritable sens, c’est le moyen d’éviter de fâcheuses erreurs dans l’appréciation des nôtres.

Les adversaires de l’admission des classes populaires à l’exercice de la liberté politique essaieront peut-être de soutenir que la révolution de Prusse et surtout celle d’Autriche ne prouvent rien contre l’idée d’appliquer en France le despotisme éclairé aux ouvriers, attendu qu’en Prusse les réminiscences classiques du prince en faveur du moyen-âge avaient inquiété la bourgeoisie, et qu’en Autriche M. de Metternich exerçait le despotisme éclairé envers toutes les classes de la nation, tandis qu’en France la bourgeoisie et en général les classes riches et aisées continueraient de participer au gouvernement. Il me semble au contraire que les événemens de Prusse et d’Autriche prouvent beaucoup par leur résultat final, qui a été d’investir toutes les classes sans exception d’une part d’influence directe dans le gouvernement, au moyen du droit de suffrage ; mais allons au fond de la question. Pour que, chez nous, le système du despotisme éclairé fût mis en vigueur à l’égard des ouvriers, pendant que la bourgeoisie resterait nantie de la liberté politique, il faudrait qu’il fût établi que la bourgeoisie et en général les classes aisées ont le sens politique à un degré remarquable, et que les ouvriers en sont complètement dépourvus. Examinons donc. Est-ce bien la noblesse qui possède un sens politique si distingué ? Sans remonter jusqu’à l’émigration, ce qui me donnerait trop d’avantages, la conduite du parti légitimiste pendant les dix-huit années du gouvernement de juillet est un fait sur lequel on peut se former une conviction, je suppose. Est-ce la classe moyenne qui brille tant par l’intelligence politique ? L’absence de sens politique dans une partie notable de la bourgeoisie est au contraire un des symptômes les plus tristes de notre temps. La garde nationale, la bourgeoisie armée, a eu si peu le sentiment de l’ordre public, qui est l’un des élémens principaux du sens politique, que, peu d’années après la révolution