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de juillet, il a fallu la dissoudre dans presque toutes les grandes villes, parce qu’elle eût prêté main-forte à l’esprit de désordre. À Paris, elle s’est associée aux manœuvres séditieuses qui ont précédé la révolution de février ; elle a été la dupe et l’instrument des sociétés secrètes on lui a insinué de crier vive la réforme ! et elle a crié à tue-tête. Elle ne voulait pas la révolution, et elle l’a faite. Elle avait alors la république en horreur, et elle a livré les clés de la place aux républicains. Une portion assez considérable de la bourgeoisie, celle qui est signalée pour avoir fourni beaucoup de voix à la liste rouge aux élections du 10 mars 1850, a et doit garder, plus que le populaire, deux sentimens qui oblitèrent le sens politique : l’envie contre toute supériorité et la passion de contrecarrer le gouvernement. L’envie envers le riche est, je le crois, fort développée aujourd’hui chez l’ouvrier ; mais il ne paraît point impossible de l’y amoindrir. Envers l’autorité, l’ouvrier n’a pas une malveillance systématique, parce qu’à chaque instant il a lieu de s’apercevoir qu’il faut du commandement en toute chose. Enfin, jusqu’à présent, ce n’est que par exception ou par hasard qu’on a pu faire suivre à la bourgeoisie une certaine discipline en politique, tandis que les ouvriers se montrent admirablement disciplinés dans les circonstances où ils en ont besoin. C’est donc une assertion hasardée que de représenter l’ouvrier comme inférieur à toutes les autres classes en intelligence politique.

Eh bien ! reprend-on, nous élèverons assez le cens pour qu’il n’y ait d’électeurs que ceux qui sont au-dessus d’un certain niveau ; nous laisserons à l’écart non-seulement tous les ouvriers, mais une bonne partie des bourgeois. Ceux qui ont in petto ce plan de régénération politique de la France devraient dire comment ils s’y prendront pour le mettre à exécution. Les événemens nous aideront, disent-ils ; les dures leçons de l’expérience détermineront la nation à renoncer à toutes les chimères du jour. — Je ne garantis pas que l’expérience ne nous réserve point de sévères leçons ; mais, quoi qu’il arrive, quand même on serait parvenu à faire accepter un régime électoral analogue à ce qu’était, par exemple, celui de la restauration, où il fallait payer cent écus de contributions directes pour être électeur, on n’aurait pas fait dix ans de ce régime, que déjà l’opinion l’aurait miné. L’intelligence revendiquerait ses droits, et il faudrait les lui reconnaître, parce que la civilisation moderne n’admet pas qu’ils soient long-temps foulés aux pieds, et, quand une brèche aurait été faite au système, il croulerait. La donnée des électeurs gros censitaires a fait son temps.

Il faut pourtant, en toute chose, s’inspirer de l’esprit général de la civilisation. Une nation peut se tromper, et même dix nations à la fois peuvent se laisser séduire par une combinaison vicieuse, déception éphémère, condamnée à périr presque aussitôt qu’elle est née. Cependant,