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nous a pas appris grand’chose sur le sujet que le poète se propose de traiter ; cette idylle, qui, partout ailleurs, pourrait séduire par son élégance, dépayse le spectateur. À quoi bon nous montrer Charlotte Corday occupée de travaux champêtres ? A quoi bon la placer sur la route suivie par les girondins fugitifs ? Une rencontre ainsi amenée ne manque-t-elle pas à la fois de vraisemblance et de grandeur ? Après les terribles journées de mai et de juin, il est probable que Charlotte pensait moins à vendre les foins et les pommes de sa tante qu’à sauver la France en frappant un grand coup. Je veux bien qu’elle fût excellente ménagère, mais je trouve dans cette idylle un caractère puéril. Les girondins proscrits ne devaient pas demander le chemin de Caen ; ils savaient très bien se diriger seuls et sans conseil vers l’asile qu’ils avaient choisi. Le poète nous introduit dans la famille de Charlotte. Ici, ici seulement, commence l’intérêt dramatique. Les plaintes, les lamentations du vieillard qui se dispose à émigrer, les soins touchans dont Charlotte entoure sa vieille tante, le bruit des clairons qui annonce la réunion et le prochain départ des volontaires, l’exclamation généreuse qui échappe à la jeune fille, son indignation, son mépris pour les jeux frivoles qui occupent ses hôtes, composent une scène pleine d’attendrissement et de grandeur. Malheureusement la scène suivante, qui se passe à l’hôtel-de-ville de Caen, est loin d’offrir le même mérite. La conversation de Barbaroux et de Charlotte Corday, moitié politique, moitié amoureuse, a le tort très grave d’être beaucoup trop longue. Barbaroux, au lieu de répondre simplement, rapidement, aux questions de Charlotte, se met à réciter sur les chefs de la montagne un morceau très habilement écrit, j’en conviens ; mais enfin c’est un morceau, et j’avoue que la patience de Charlotte me semble difficile à comprendre. Alarmée par les dernières nouvelles venues de Paris, tremblant pour le sort de la patrie, comment peut-elle écouter ces portraits tracés d’une main savante ? Ne doit-elle pas interrompre Barbaroux dès qu’elle le voit parler pour le plaisir de s’entendre bien plus que pour l’instruire ? Ne doit- elle pas tressaillir de dépit, et traiter cette vaine éloquence comme elle traitait tout à l’heure les hôtes réunis chez Mme de Bretteville autour des tables de jeu ? L’énergie de son patriotisme peut-elle s’accommoder de ces périodes combinées avec tant de coquetterie ? J’ai grand’peine à le croire. La déclaration adressée à Charlotte me semble une invention malheureuse. Que Barbaroux, saisi d’admiration pour la beauté, pour l’ame généreuse de la jeune fille, ne puisse se défendre de l’aimer, je le conçois volontiers ; mais qu’il choisisse pour lui exprimer son amour le moment où elle l’interroge d’une voix frémissante sur les malheurs et les dangers de la France, je le conçois difficilement. C’est le plus sûr moyen de s’amoindrir aux yeux de la femme qu’il aime. Les railleries