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que je trouve aux vers de Sannazar ne tient pas du tout à l’immobilité de la langue qu’il a choisie. Je suis même tenté de croire que la poésie latine moderne n’est pas plus à l’abri des changemens du temps que la poésie française ou italienne. Ce qui me le fait penser, c’est que le style de Sannazar n’est pas le même que le style de Vida ou de Fracastor, c’est que la poésie latine italienne ne ressemble pas à la poésie latine française, ni celle-ci à la poésie latine anglaise, et que, dans ce genre de poésie, les différences de siècles se font sentir aussi bien que les différences de pays.

Ce que je loue dans Sannazar, ce n’est donc pas, comme le voudrait Commire, la stabilité de la langue qu’il a choisie, mais le bonheur de l’inspiration et de l’expression poétique. Essayons d’en donner quelques exemples. Voici comment, dans la scène de la salutation angélique, il peint l’étonnement de la Vierge, dans une comparaison pleine de grace et de naïveté : « La Vierge demeure étonnée, baisse les yeux et pâlit. Telle, aux rivages de Myconi ou de Séripho, une jeune fille, occupée à recueillir des coquillages, errant les pieds nus au bord de la mer, si, de loin, elle aperçoit un vaisseau s’avançant les voiles déployées, surprise et n’osant plus remuer, elle oublie d’abaisser son voile et de rejoindre ses compagnes : elle regarde immobile le vaisseau qui fend la mer ; mais, pendant qu’elle regarde, le vaisseau s’éloigne, voguant fièrement sur les flots avec ses voiles qui blanchissent sous les rayons du soleil[1]. »

Sannazar, dans sa jeunesse, avait, dit-on, voyagé en Grèce, et cette comparaison pleine, pour ainsi dire, de la beauté des mers et des rivages grecs, cette scène paisible et douce fait souvenir des voyages de l’auteur. Peut-être même, pour goûter le charme de ces vers, faut-il avoir touché des yeux ce climat enchanté, avoir vogué entre les îles de l’Archipel, avoir vu, étant soi-même sur le pont de quelque vaisseau, par un beau jour et sous ce beau ciel reflété dans cette belle mer, avoir vu, comme Sannazar, quelque jeune fille qui regarde passer le.vaisseau, s’être abandonné à la contemplation de ces enchantemens du ciel, de la terre et des eaux, avoir pensé que cette jeune fille, entrevue à peine dans sa pure et lointaine beauté, les contemple et les ressent

  1. … Stupuit confestim exterrita virgo,
    Demisitque oculos, totosque expalluit artus.
    Non secus, ac conchis si quando intenta legendis,
    Sen Micone parva, scopulis sen forte Seriphi,
    Nuda pedes virgo, laetae nova gloria matris,
    Veliferam advertit vicina ad littora puppim
    Adventare, timet ; nec jam subducere vestem
    Audet, nec tuto ad socias se reddere cursu ;
    Sed trepidans silet, obtutuque immobilis haeret. (Lib. I.)