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comme nous, avoir enfin goûté le charme mystérieux et comme la sympathie de ces deux regards, des siens et des nôtres, qui s’unissent dans l’admiration du même spectacle et dans l’émotion du même sentiment. Je l’avoue même, en parlant ainsi, je prête à la comparaison de Sannazar des sentimens qu’elle n’a pas : Sannazar n’a voulu peindre que l’étonnement naïf de la jeune fille qui voit un beau vaisseau passer dans l’azur du ciel et de la mer ; mais le paysage où il a placé sa gracieuse figure prête à son tableau un charme indéfinissable, et que ceux-là seulement peuvent bien sentir qui ont goûté ce qu’il y a de douceur dans la contemplation d’un beau lieu sous un beau climat.

Sannazar, plus hardi que beaucoup d’autres poètes, a osé décrire le mystère de l’incarnation, et il a réussi dans sa hardiesse. C’est ici que la traduction est impuissante à rendre la témérité discrète de la poésie ; il faut se contenter de citer :

… Repente nova micuisse penates
Luce videt : nitor ecce domum complerat ; ibi illa
Ardentum haud patiens radiorum, ignisque corusci,
Extimuit magis. At venter, (mirabile dicta !
Non ignota cano) sine vi, sine labe pudoris
Arcano intumuit verbo. Vigor actus ab alto
Irradians, vigor omnipotens, vigor omnia complens,
Descendit ; Deus ille, Deus ! totosque per artus,
Dat sese miscetque utero. Quo tacta repente
Viscera contremuere ; silet natura, pavetque
Attonitae similis, confusaque turbine rerum
Insolito, occultas conatur quœrere causas.

[1].

Et, comme si c’était peu d’avoir osé décrire ce prodige, il fait plus, il essaie de l’expliquer, et il l’explique, mais en poète, par une image ingénieuse et brillante : « Tel un rayon de soleil pénètre le verre, lumière puissante, et forte qui traverse le cristal sans le briser. »

Ce sont là, si j’ose le dire, des difficultés vaincues qui honorent la poésie, non que je fasse grand cas des tours de force qu’on appelle en littérature les difficultés vaincues. Si j’admire les vers de Sannazar sur l’incarnation, ce n’est pas parce qu’ils étaient difficiles à faire, c’est parce qu’ils sont brillans et ingénieux, en dépit d’un sujet qui se prête

  1. « Une soudaine lumière remplit et illumine la salle où la Vierge était agenouillée ; sous l’éclat de ces rayons ardens, Marie baisse ses regards éblouis ; mais en même temps son sein (je chante des prodiges vénérés par la foi), son sein se gonfle, plein du Verbe divin. Sa pudeur n’a ressenti aucune atteinte. C’est une force qui rayonne autour d’elle, une force divine et toute-puissante, une force qui la pénètre : c’est un Dieu, c’est Dieu lui-même qui descend dans son soin, qui s’unit et s’attache à elle. Ses entrailles ont tressailli profondément, et la nature se tait comme interdite d’effroi. Frappée d’une confusion inattendue, elle cherche à pénétrer les causes du mystère qui s’accomplit contre ses lois. »