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La Christiade de Vida est le commencement et l’original de ce que j’appelle le poème épique et classique, poème de convention, réglé et taillé sur le modèle de l’ancienne épopée et surtout de l’Énéide, où il y a nécessairement une tempête, parce que Virgile en a une, et un récit qui dure plusieurs chants, en mémoire aussi du récit d’Énée dans Virgile poèmes où l’étude est tout, qui n’ont ni inspiration ni liberté, littérature de deuxième main, qui semble n’avoir de cause que dans les bibliothèques et non dans les sentimens et les émotions du cœur humain. Non que je refuse à Vida le mérite d’une versification élégante et correcte ; ce mérite est presque son défaut. Parfois cependant ce genre de mérite apparaît dégagé des défauts que je lui ai reprochés. Je ne citerai pas, pour donner une idée de la poésie de Vida, la mort de Jésus-Christ, morceau très vanté, et qui me paraît sentir singulièrement la déclamation. Je citerai plutôt quelques traits de l’entrée triomphante de Jésus-Christ aux enfers. Là il y a quelques beaux vers, et il n’y a pas en même temps trop d’anachronismes de langage, je veux dire trop de réminiscences païennes. Peut-être cela tient-il au sujet, car l’enfer a toujours été un peu païen, même dans les croyances chrétiennes, et il n’y a guère de différence entre l’enfer des anciens et l’enfer des modernes. Vida peint d’abord la joie des élus quand ils pressentent l’arrivée du Christ

« Telles étaient leurs pensées ; tous frémissaient de joie et de bonheur. Ainsi, quand les habitans d’une ville long-temps assiégée, après avoir vu l’ennemi ébranler pendant long-temps leurs murailles et menacer leurs demeures, voient de loin arriver l’armée amie qui doit les délivrer, tous tressaillent de joie, et leur ame abattue se reprend à l’espérance…

« Jésus s’arrête aux portes de l’enfer ; il les pousse de sa main. À ce coup, la terre épouvantée tremble et retentit, les astres chancellent, et l’enfer mugit au loin dans la profondeur de ses ténèbres. À ce bruit, du fond des vallées infernales accourent les démons épouvantés[1] ; c’est en vain qu’ils exhalent de leurs gosiers béans un feu terrible et des tourbillons de fumée : la force du Dieu tout-puissant se fait sentir, et les portes, bondissant sur leurs gonds, s’entr’ouvrent d’elles-mêmes. Alors apparaît l’intérieur de cette maison de confusion ; les ténèbres s’éclaircissent, la nuit se dissipe, tant est vive la lumière qui jaillit du visage du Christ… Les démons, reconnaissant la figure du Christ, objet de leur colère, cette figure étincelante de rayons et de lumière, cherchent en vain l’obscurité, et, repliant, timidement leurs queues de dragons sous leur corps, poussent dans leurs cavernes de tristes et impuissans

  1. Vida les appelle Lucifugi fratres, les frères qui fuient la lumière, et les représente sous la forme humaine jusqu’au milieu du corps, avec des queues de dragon au lieu de pieds.