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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 mars 1850.

« Les élections du 10 mars ! la révolution commence ! » tel est le titre d’une brochure que nous voyons affichée ces jours-ci sur les murs de Paris. Nous ne sommes pas de l’avis de la brochure ou de son titre. La révolution ne commence pas ; elle continue et elle se développe. Nous consentons à croire que, le 24 février n’a pas été une révolution. Ç’a été une grande surprise ; mais la révolution s’est faite par les décrets du gouvernement provisoire, qui a créé une révolution pour justifier le coup de main qui l’avait porté au pouvoir.

Parmi tous les décrets révolutionnaires du gouvernement provisoire, le plus révolutionnaire est celui qui a établi le suffrage universel et qui l’a organisé tel qu’il est, avec le scrutin de liste et l’élection directe. Ce décret-là, n’hésitons pas à le dire, établit la révolution en permanence, non pas que le suffrage universel, quand il est libre, ne tourne souvent contre ses auteurs ; cela s’est vu et pourrait se voir encore. Quand la démagogie s’empare du pouvoir, comme elle fait à l’instant même la misère du pays, le pays, aussitôt qu’il est consulté, vote contre la démagogie et lui ôte le pouvoir ; mais supposez un gouvernement honnête et sage, comme ce gouvernement est forcé de contenir et de réprimer les mauvaises passions qui luttent contre la société, comme tout gouvernement est une police, dans le sens élevé de ce dernier mot, le suffrage universel se tourne promptement contre le gouvernement. Le suffrage universel semble avoir pour but de mettre en action le vers de La Fontaine :

Notre ennemi, c’est notre maître.


D’où il suit que le suffrage universel est la révolution en permanence, ce qui est un bien quand on est mal, ce qui est un mal quand on est bien ou passablement bien. Qui ne comprend néanmoins que cette impossibilité même de s’arrêter à