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un point quelconque, cette instabilité perpétuelle est une maladie qui doit tôt ou tard tuer la société qui en est atteinte ? Au lieu d’employer son activité à travailler, à fabriquer, à commercer, à augmenter la somme de la richesse sociale, la société emploie son activité à changer sans cesse ses institutions. C’est une machine qui dépense sa force à se faire mouvoir elle-même, au lieu de faire mouvoir l’industrie et le commerce. Ajoutez que, si cette société versatile et improductive est en même temps pauvre et besoigneuse, le danger est deux fois plus grand. Les institutions et le suffrage universel en particulier deviennent une arme dont chaque portion de la société se sert pour arracher à l’autre sa subsistance : nous ne parlons pas de l’aisance ; il n’en peut plus être question dans une société qui, au lieu de produire du pain, s’occupe à produire des révolutions.

Le suffrage universel n’est pas autre chose que l’action de la multitude. Or, dans tous les temps et dans tous les pays du monde, l’action de la multitude est aveugle et grossière. Par quelle fatuité croyons-nous que la multitude française est éclairée et intelligente ? Est-ce à dire que nous voulons condamner l’espèce humaine en bloc et la déclarer incapable de se gouverner ? A Dieu ne plaise ! La multitude est capable de se gouverner, quand elle est capable de se maîtriser, et elle est capable de se maîtriser, quand elle est encadrée dans les liens d’une société qui a de vieilles mœurs et de vieilles traditions, et où le bon sens de chaque individu, sa modération, ses habitudes sages et régulières font, en se réunissant, la sagesse du peuple. Donnez-moi, dans toute la France, la population de la Bretagne, c’est-à-dire une population pieuse et régulière, point envieuse, point livrée au démon de la concupiscence, et j’adopte volontiers le suffrage universel ; mais, avec la population de nos grandes villes, qu’est-ce que le suffrage universel, sinon la facilité de satisfaire ses rancunes, ses envies, ses convoitises ? Les institutions démocratiques ont besoin d’être tempérées par les mœurs, et c’est un axiome de tous les temps que la liberté a besoin de la vertu pour contre-poids. Dans nos grandes villes, au contraire, les mœurs gâtent les institutions, loin de les corriger. N’oublions pas surtout que l’organisation de notre suffrage universel le rend encore plus mauvais qu’il ne le serait déjà par lui-même, à cause des mœurs de nos grands centres de population. Le scrutin de liste en altère profondément la sincérité. La constitution veut que tous les Français votent le scrutin de liste fait qu’il n’y a que quelques hommes dans chaque département qui sont électeurs pour tous les autres. C’est l’oligarchie dans la démagogie.

Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment se sont faites les élections à Paris. Nous ne voulons pas ici médire du résultat, nous voulons seulement examiner les procédés électoraux adoptés des deux côtés, dans le parti modéré et dans le parti socialiste, afin de savoir si c’est vraiment là le suffrage direct et universel que proclame l’article 24 de la constitution.

L’union électorale procède avec une grande bonne foi et tâche de corriger de son mieux les défauts du suffrage universel. Son élection préparatoire est une sorte de premier degré, et à ce premier degré les électeurs ne peuvent se plaindre de n’être pas libres : ils peuvent vraiment nommer qui bon leur semble ; mais, au second degré, c’est-à-dire à l’élection définitive, à celle qui procède uniquement de la loi et non plus des mesures prises par l’union électorale, il