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Mentionnons maintenant quelques-unes des discussions qui ont occupé l’assemblée dans cette quinzaine.

La nouvelle loi du timbre, qui a déjà subi l’épreuve de deux lectures, a vivement ému le monde financier par les dispositions qu’elle contient sur les transferts de rente. Les conséquences de ces dispositions sont faciles à comprendre. Lorsque l’état grève d’un impôt la négociation d’un titre de rente, il agit comme s’il imposait la rente elle-même, car il déprécie le titre entre les mains de celui qui le possède. Or, l’état a-t-il le droit d’imposer la rente ? La loi qui a constitué le grand livre dit positivement que la dette consolidée sera exempte de toute retenue, présente ou future. Lorsque l’état impose une retenue sur la rente, ou, ce qui revient au même, sur la négociation du titre de rente, il manque donc à ses engagemens. Il viole le contrat passé entre lui et ses créanciers, et non-seulement il nuit à ses créanciers, mais encore il se nuit à lui-même, car, après avoir touché à l’inviolabilité de la rente, il n’a plus devant lui que des prêteurs défians, qui lui feront perdre dans ses emprunts futurs bien au-delà du revenu qu’une taxe injuste et imprudente aura versé dans sa caisse.

Pourquoi ces vérités si simples, et qui acquéraient une si grande autorité en passant par la bouche de M. Berryer, n’ont-elles pas convaincu la majorité ? C’est que beaucoup de gens, même au Palais-Bourbon, se seront dit : Voici une occasion de frapper le capital, profitons-en. D’autres n’auront pas été fâchés de frapper la rente, peu populaire, comme on sait, dans nos départemens. À Paris, la rente est chose sacrée, c’est l’arche sainte ; mais allez dans nos provinces, et tâchez de faire comprendre à l’agriculteur, au vigneron, au propriétaire foncier, que l’inscription de rente est un contrat qui oblige l’état envers ses créanciers : vous verrez comme on vous écoutera ! Ajoutons que ce titre de rente, ce chiffon de papier, que les gens de la campagne apprécient peu sous beaucoup de rapports, a cependant, à leurs yeux, une vertu qui excite au plus haut point leur jalousie. La rente se paie à échéances fixes ; le rentier, à moins d’un cataclysme, est toujours sûr de toucher son terme à chaque semestre ; toutes les années sont bonnes pour lui, tandis que, pour le rentier de la terre, il y a de bonnes et de mauvaises saisons. Si la récolte ne se vend pas ou se vend mal, la terre coûte au lieu de rapporter. De là une certaine hostilité de la propriété territoriale contre la rente, et cette hostilité, nous en sommes sûrs, n’aura pas peu contribué à porter malheur aux rentiers dans cette discussion de l’impôt du timbre.

Si la loi passe, et cela est malheureusement probable aujourd’hui, quelques propriétaires ruraux se frotteront les mains ; qu’auront-ils gagné cependant ? Ne dit-on pas tous les jours que la propriété rurale a besoin de capitaux, que la terre ne trouve pas à emprunter ? Et que fait-on par l’impôt sur les transferts de rente ? Au lieu d’attirer les capitaux sur le marché français, on les excite à émigrer ; au lieu d’abaisser l’intérêt de l’argent en facilitant les transactions, on élève le taux de l’intérêt en grévant la circulation des valeurs. L’argent qui se prête à la Bourse sur les titres de rente, au moyen des reports, coûtera désormais à l’emprunteur 8 pour 100 au lieu de 6. Si l’intérêt de l’argent s’élève à 8 pour 100, nous nous demandons ce que les campagnes auront gagné à l’article du timbre sur les transferts !

Mais, dit-on, il faut bien arrêter le jeu, l’agiotage ! Nous craignons bien