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laisser entrevoir le côté extérieur, sommaire, l’abrégé de son sujet et de ses personnages, nous en donnant comme un spécimen écourté et amoindri, ici une miniature d’émeute, là un écho, de club, plus loin une musique lointaine jouant la Marseillaise dans la coulisse, ailleurs un souper girondin avec accompagnement obligé de souvenirs d’Athènes et de citations d’Horace ; enfin il a substitué trop souvent l’entretien politique à la politique elle-même, le récit à l’action, le portrait au caractère.

Faut-il s’étonner, après cela, que l’impression générale de la représentation de Charlotte Corday ait été froide, presque triste ? Ce n’est jamais impunément que le poète dramatique renonce aux sources naturelles d’intérêt, de curiosité, d’attendrissement ou d’émotion, pour demander le succès à des moyens d’un autre genre, à des idées d’un autre ordre. L’allusion politique est fatale au théâtre, soit qu’elle froisse, soit qu’elle caresse les opinions du public. On peut même, à ce propos, faire une remarque : tout ce qui tient à la passion, à l’étude sincère du cœur humain, tout ce qui repose sur une observation exacte et pénétrante est à l’instant accepté et reconnu comme vrai, comme sympathique, par ceux-là même qui sont le plus étrangers aux passions, aux sentimens, aux situations morales que le poète a décrits. Pourvu qu’il ait frappé juste, l’effet est unanime parmi toutes ces intelligences, toutes ces ames si diverses auxquelles il s’adresse ; la vibration gagne de proche en proche, à travers son auditoire, les fibres les plus rebelles. La politique, au contraire, surtout dans les temps où l’on est tourmenté de préoccupations analogues, fatigue, attriste, irrite au théâtre ceux même que l’auteur semble avoir eu le plus en vue en écrivant ses allusions et ses maximes. Pour qu’elle attire à soi les esprits sérieux, les spectateurs attentifs, il faut au moins qu’elle s’élève au-dessus des intérêts mesquins, des questions de détail, des querelles de partis, qu’elle plane dans ces hautes régions où elle cesse d’être l’expression plus ou moins contestable d’opinions passagères ou relatives, pour devenir la morale même de l’histoire, la grande voix du genre humain cherchant, comme le chœur antique, dans les événemens et les catastrophes qui nous épouvantent, un immortel enseignement. Corneille, Shakspeare, Alfieri même et Schiller ont de ces échappées soudaines, de ces généreux coups de main dans le domaine des vérités générales.

Après la représentation de Charlotte Corday, il demeure évident que certains événemens et certains hommes, abordés même avec précaution et appréciés avec mesure, trouveront toujours dans les aires une sorte de résistance inquiète, d’antipathie confuse. Ce sentiment d’anxiété et de tristesse qu’a éveillé chez les spectateurs l’œuvre de M. Ponsard a toute la portée d’une leçon qui s’adresse à d’autres encore qu’à l’auteur de Charlotte Corday. Il est bon qu’en dehors de toute dissidence, de toute récrimination de parti, une méfiance silencieuse et inflexible s’attache à ce qui ne devrait jamais être qu’un grand et douloureux avertissement donné au présent par le passé, non pas aux dépens de la liberté contre l’autorité, de l’autorité contre la liberté, des rois contre les peuples ou des peuples contre les rois, mais en honneur de cette loi imprescriptible, inaltérable, qui veut que, sous les républiques comme sous les monarchies, le mal ne puisse jamais être pris pour le bien, et le bien pour le mal. Voilà ce qu’ont oublié les personnages révolutionnaires et ce qu’oublient leurs