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historiens et leurs poètes. À propos de cette morale éternelle qui domine toutes les opinions politiques, comment ne pas songer à M. de Lamartine ? L’historien des Girondins n’est pas encore dégoûté du rôle d’éditeur responsable de la république de février ; il continue de se raconter à lui-même les destinées de cette république et de se montrer aussi content de son ouvrage que si nous en étions encore à la lune de miel républicaine. Les illusions paternelles ont quelque chose de respectable, et l’on éprouve une certaine répugnance à réveiller ce poétique Épiménide de la révolution de 1848, à l’avertir que nous ne sommes plus tout-à-fait au temps où sa lyre servait de symbole à la démocratie triomphante. Aussi dirons-nous peu de mots de son nouvel ouvrage : Le Passé, le Présent et l’Avenir de la République. C’est une centième variation sur ce thème obligé qui défraie les livraisons, les supplémens et les appendices du Conseiller du Peuple, et qui consiste à séparer tant bien que mal l’élément démocratique des enjolivemens démagogiques, socialistes et communistes qu’y ajoutent la marche du temps, le progrès des idées et la logique révolutionnaire. Cette séparation serait sans doute chose fort désirable, et nous serions les premiers à remercier M. de Lamartine, s’il nous la donnait. Par malheur, il ne semble pas que nous soyons en voie de l’obtenir, et il est permis de penser, au contraire, que c’est la démocratie intelligente, éclairée, civilisatrice, telle que la conçoit ou que la rêve M. de Lamartine, qui s’apprête à se fondre et à s’annuler dans la démagogie. Quoi qu’il en soit, l’obstiné poète, pour nous préserver de ce péril, nous offre ce nouveau catéchisme de la république honnête, religion bizarre dont il est à peu près le seul dieu, le seul prêtre et le seul fidèle. Sous des formes toujours brillantes, on y sent l’affaiblissement graduel d’une pensée qui s’use et s’amortit en se répétant, et puis il y a dans cette persistance à rappeler toujours la même histoire, à se glorifier dans un événement dont les conséquences funestes frappent tous les regards et navrent tous les esprits, à fouiller d’une main que rien ne lasse dans les cendres d’une gloire éteinte pour y retrouver un reste de lueur et de flamme, quelque chose de puéril qui attriste. Un critique, qui parait avoir fait de la déification hebdomadaire de M. de Lamartine une spécialité politique et littéraire, assurait l’autre jour que l’illustre écrivain était à l’égard de la république de 1848 ce qu’est le père à l’égard de son enfant qu’il engendre autant de fois qu’il lui apporte de sentimens, d’idées et de forces pour développer son existence. Plaignons M. de Lamartine des peines que son enfant lui donne et des louanges que ses flatteurs lui décernent !

Nous ne sommes pas quittes encore avec les souvenirs et les récits de février. Voici Daniel Stern et son nouvel ouvrage : Histoire de la Révolution de 1848. Quel est le but de ce livre ? Daniel -Stern a-t-elle voulu simplement se donner le plaisir de retracer la défaite d’une société qu’elle a sans doute des raisons de traiter en ennemie ? A-t-elle voulu marquer d’avance sa place parmi les sibylles démagogiques, s’assurer, en cas de victoire, les bonnes graces du socialisme ? On trouverait aisément, nous le croyons, dans les rangs de ces austères démolisseurs du vieil édifice social, de ces fervens consolateurs des souffrances populaires, bon nombre de gens que le peuple serait fort surpris et médiocrement édifié d’avoir pour auxiliaires, s’il savait ce qui lui vaut ces violentes et soudaines amitiés. Que d’anathèmes contre l’inégalité des fortunes et l’oppression des riches qui s’expliqueraient par une fortune perdue et des richesses dissipées !