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où l’œuvre des grands artistes devient une manière d’évangile, et où les jouissances et les chimères de l’imagination sont constamment confondues avec les lois austères de la conscience et de l’ame. Rien de mieux assurément que d’admirer Rembrandt et Beethoven, de parler de leurs ouvrages avec cet enthousiasme fécond qui n’exclut pas le discernement. Toutefois nous pensons, jusqu’à meilleur avis, que la Symphonie pastorale ou le tableau des Disciples d’Emmaüs n’ont rien à démêler avec les vérités qu’il s’agit de croire ou les devoirs qu’il s’agit d’observer. Si nous insistons sur ce point, à propos de quelques pages qui ne méritent ni discussion, ni critique, c’est que cette confusion bizarre et décevante est une des manies de notre époque et peut-être une des causes de nos infortunes. « Dieu et l’art ! » s’écrient de prétendus poètes qui ne demanderaient pas mieux que de s’adjuger à eux-mêmes les honneurs exclusifs de cette double formule d’une même divinité. « Dieu et l’art ! » répètent de prétendus penseurs, qui, incapables de rien conclure, aiment mieux tout rêver, et cherchent dans une symphonie ou dans une toile ces solutions que leur esprit superbe ne leur donnera jamais. L’artiste, l’homme toujours prêt à substituer aux véritables intérêts de l’humanité, au but sérieux de la raison, un je ne sais quoi qu’il compose de ses admirations, de ses songes et de ses vanités, voilà l’être séduisant et coupable qui, sous mille formes diverses et mille noms différens, étend aujourd’hui son influence dissolvante sur la société tout entière. On le retrouve dans la politique, dans les livres, dans l’atmosphère intellectuelle que nous respirons tous, dans les événemens qui nous passionnent, dans les catastrophes qui nous épouvantent. Il est pour quelque chose dans nos erreurs, nos déceptions et nos fautes, dans tout ce que nous avons souffert, dans tout ce que nous souffrirons encore. Il a remplacé les lois positives qui font l’homme sage et l’honnête homme par des théories flottantes, capricieuses, flexibles, baignées de lumière et d’ombre, pleines d’accommodemens et d’amorces pour les faiblesses du cœur. On comprend que cet être bizarre soit accueilli, choyé, fêté, dans les temps de prospérité et de calme, par une société qu’il charme ou qu’il amuse en l’égarant. Aujourd’hui, ces condescendances ne sont plus permises. Le péril ne s’arrange pas des à-peu-près de l’imagination ; il exige les notions droites, précises, du bien et du mal, du juste et de l’injuste, de la vérité et du mensonge. Ces notions-là, la société menacée doit les rétablir dans toute leur netteté, si elle veut reconquérir tous ses droits et toutes ses forces dans l’exercice d’une légitime défense. Autrement, la défense serait illusoire et l’attaque irrésistible.

A. DE PONTMARTIN.


V. DE MARS.