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Ainsi, entre toutes les communions religieuses, celle des quakers a cela de tout particulier, qu’elle n’est point, à proprement parler, une église qui base l’union de ses membres sur une foi commune. L’autorité s’y exerce surtout au profit de la morale. Les idées que Fox se faisait du bien et du mal, du juste et de l’injuste, Barclay et d’autres les ont réduites en préceptes, et le principal rôle des meetings est de donner force à cette loi. Il est résulté de là plus d’une singularité ; maintenant encore ce qui distingue le quakérisme, c’est toujours la passion de la sincérité, du sans-art, de la simplicité. La guerre à outrance que le premier apôtre avait déclarée à la vanité et au mensonge, ses successeurs l’ont dignement continuée. Rien de plus noble. Ils ne pouvaient mieux faire que d’adopter ainsi les intentions du berger de Drayton. Malheureusement ils ont également adopté les moyens que Fox avait imaginés pour réaliser ses intentions, et ces moyens-là se sentent bien de la naïveté de leur inventeur. Ce que Fox regardait comme le bien, cela va sans dire, était simplement ce qui pouvait concilier les facultés qu’il sentait en lui avec les seules nécessités qu’eussent reconnues, qu’eussent aperçues ses yeux à lui, qui étaient loin d’avoir vu tout ce qu’il y avait à voir. Sa morale, d’ailleurs, était encore celle de l’ignorance. Incapable de découvrir sous le mal les élémens même du bien, il s’imaginait que certains actes étaient le mal absolu, parce qu’ils procédaient de certaines causes spéciales, de certains mobiles essentiellement mauvais, et de la sorte le devoir, suivant lui, était d’anéantir et d’exterminer ces forces de Satan, sans jamais pactiser avec elles, pas même pour les diriger. Cet idéal du visionnaire, ni Barclay, ni les quakers de nos jours ne se sont permis de le revoir, et, en s’immobilisant tel qu’il était, il est devenu dans le quakérisme une sorte de radicalisme ou de méthode géométrique qui enjoint à chacun d’obéir quand même à tels et tels axiomes, sans rien écouter, sans rien regarder, sans s’inquiéter des conséquences.

Je citerai quelques-uns des principaux résultats de cet esprit systématique. Comme par le passé, les disciples de Fox ne se découvrent devant personne et ne souhaitent à personne le bonjour ou le bonsoir ; comme par le passé, ils se croient tenus de tutoyer les princes eux-mêmes, de s’abstenir de toute génuflexion, de ne jamais employer les formules de politesse en usage, telles que votre serviteur, mille pardons, etc. Les titres qui représentent des fonctions réelles sont les seuls qu’ils admettent. Quant aux qualifications honorifiques d’excellence, d’altesse, de monsieur même, ils les proscrivent comme des mensonges et des impôts payés à l’amour-propre. Ils condamnent la musique, les théâtres, les jeux de hasard, les lectures futiles, les fictions de tout genre, poèmes ou romans. Ils ne portent point le deuil de leurs proches, parce que le deuil est un vain dehors ou un reproche adressé à