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jeux, les théâtres, ne seraient point tolérés, et que, « vu que l’immoralité des peuples provoque contre eux le courroux céleste, des peines sévères seraient infligées pour toutes les offenses envers Dieu, telles que les blasphèmes, les mensonges, les conversations profanes, l’ivrognerie, les toasts, les paroles obscènes, etc. » En un mot, les quakers ne furent pas exemptés de la loi commune. Partout où ils avaient voulu innover, il fallut que les conséquences mêmes de leurs fautes se chargeassent de leur indiquer le droit chemin ; mais enfin ils apprirent assez vite leur métier de législateurs, et, malgré bien des exigences immodérées qui les entraînèrent d’abord à plus d’une vaine dissension, on peut dire aussi qu’ils se mirent vite au niveau de leur rôle de citoyen. Si Penn avait tort de croire que tous les hommes en général étaient forcément capables de se gouverner, il avait raison de penser que les hommes de sa province seraient capables de se gouverner. Ils n’avaient pas seulement débarqué avec leur mysticisme ; ils avaient encore apporté avec eux leurs habitudes et leurs instincts, le souvenir des dangers de l’intolérance, la tendance à respecter les convictions d’autrui, et la belle morale de Fox, cette renonciation à toute violence qui, à elle seule, lui fait tant pardonner.

Somme toute, la sainte expérience fut un succès. La prospérité de la Pensylvanie se développa plus rapidement que celle d’aucune autre colonie, et sans contredit la province des quakers a exercé une grande influence sur le sort de l’Union. Les autres états l’ont plus imitée qu’elle-même ne s’est inspirée d’eux. À lire les écrivains de l’Amérique moderne, à voir comment les Emerson, les Channing, les Parker, sont arrivés à distinguer le sentiment religieux de la forme des religions et comment ils le respectent partout, sous quelque forme qu’il se manifeste, il n’est pas douteux que les fils des premiers colons se sont plutôt rapprochés de Penn que des pèlerins calvinistes.

L’Amérique a fait encore bien d’autres emprunts aux disciples de Fox, ou du moins leur esprit égalitaire l’a gagnée, de quelque côté qu’il lui soit venu. Est-ce pour son bien ? est-ce pour son mal ? L’avenir le dira. Quant à nous, nous pouvons seulement savoir que les États-Unis ont dans les solitudes de l’ouest une soupape de sûreté, et que leurs institutions actuelles peuvent actuellement faire vivre en paix les élémens sociaux qu’ils renferment. Quand les jeunes nations du Nouveau-Monde arriveront à être des sociétés complexes et surchargées, peut-être s’apercevront-elles qu’elles ont adopté plus d’une illusion qui les condamnerait à périr si elles ne savaient pas en abandonner les conséquences ; mais à chaque jour suffit son œuvre, et ce qu’ont fait les quakers, sans doute elles sauront le faire, car la race est la même des deux côtés.

Quoi qu’il en soit, les coreligionnaires de Penn ont déjà porté la peine de leurs systèmes. Leur propre domaine lui-même a cessé d’être