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d’une oisiveté complète. L’idée qu’il pouvait être avantageux pour la société comme pour les détenus d’empêcher la gangrène du vice de se développer avait sans doute été entrevue par plus d’une intelligence ; mais en Europe elle attendait encore une application générale. La secte des Amis en fit une de ses plus chères pensées. Je n’examinerai pas si, là encore, le mysticisme quaker ne se montra pas, dans le principe, beaucoup plus capable de détruire le mal que de rien fonder de mieux. Le fait certain, c’est que les mauvaises théories conduisirent à des théories meilleures, auxquelles les Amis se rangèrent comme les autres. Chez mistress Fry, en particulier, l’illusion ne se mêle plus qu’en petite dose à une très forte dose de saine raison. Introduite à Newgate par W. Allen, elle y fit certainement pénétrer la lumière ; elle organisa des écoles pour les prisonniers, elle leur fit de pieuses lectures ; elle institua des comités de dames pour l’aider dans son œuvre et pour venir à l’appui des détenues à leur sortie de prison. Enfin, les principales et salutaires améliorations qu’elle avait proposées furent adoptées par le gouvernement. Pour chaque nature de délit, il y eut des salles spéciales : les femmes furent séparées des hommes ; elles eurent des surveillantes de leur sexe, et le travail fut introduit dans les maisons de détention.

Toutes ces réformes, dont le contre-coup s’est fait sentir en France et chez les autres peuples, n’ont assurément pas été effectuées par une seule personne. L’esprit d’initiative individuelle, qui est la force de l’Angleterre, n’a point été créé par Allen ou par mistress Fry ; seulement ils ont su en tirer parti et lui assurer le concours de toute leur société religieuse : c’est pour les Amis un assez beau titre.

Il est à regretter que les mémoires des deux célèbres quakers n’aient pas été traduits dans notre langue. Les récits des voyages les plus lointains et les rêves les plus étranges de l’imagination n’ont rien que de banal à côté du monde qu’ils nous ouvrent. Ce monde inconnu, il est au milieu de nous, et nous ne le soupçonnons même pas. Les traces des anciens jours n’y sont pas effacées : on y reconnaît les descendans des premiers enthousiastes à une certaine exaltation contenue. Là, tout est grave, austère, silencieux : le savant, accablé de soucis, interrompt ses travaux pour consulter Dieu sur la moindre décision qu’il doit prendre, ou pour remercier sa bonté infinie de ce qu’elle a daigné lui donner conscience de son propre néant ; le commerçant note dans son journal « ses abattemens » et ses calmes plats, les éclaircies qui lui ont révélé « la présence du pouvoir qui soutient, » les élans de ferveur que le Seigneur lui a accordés malgré son indignité. Le soir, pendant que les convives sont encore à table, l’esprit les visite et plane sur eux ; ils s’aperçoivent que Dieu est proche : c’est une sollicitation religieuse (a religious opportunity) dont le ciel les favorise, et l’un