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de tout système, c’est parce qu’elles savent d’abord s’assimiler toute l’expérience acquise, toute la science résumée dans les théories du passé. Quant aux masses, qui ne possèdent point cette faculté, les pousser au mépris de toute théorie, c’est seulement leur enlever les bénéfices et la tutelle de la sagesse des sages pour les livrer à la merci de toutes leurs étourderies ; leur enseigner d’ailleurs ce mépris en leur répétant qu’elles possèdent un oracle infaillible, c’est déchaîner le chaos. Le quakérisme primitif pouvait donner satisfaction à un besoin éternel ; mais, avec son hypothèse du Christ intérieur, il s’insurgeait contre une nécessité non moins éternelle et qui est la raison d’être du dogmatisme, contre la nécessité qui force les sociétés à se protéger en exprimant, sous forme de lois, la somme de leurs connaissances, et en empêchant les aveugles de faire ce qui a été reconnu comme dangereux.

Afin d’enlever les individus au gouvernement de leurs ignorances et de leurs caprices, nous avons vu ce que fit Barclay : il les remit sous la tutelle de l’esprit de système. Il se peut que sa doctrine scolastique ait contribué à sauver le quakérisme du naufrage, car, après tout, le recueil de préceptes et de croyances qu’il avait rédigé était un certain résumé des lumières de son temps. Ce qu’il y a de bien certain toutefois, c’est que le présent n’était sauvé qu’aux dépens de l’avenir. Tout savant qu’il était, Barclay n’avait su qu’adopter les erreurs de Fox, en sacrifiant ce qu’il y avait chez lui de profondément vrai. La question était de découvrir et de dire comment les individus étaient libres de tenir compte de leurs propres impressions et de leurs propres besoins, sans être aucunement libres de nier l’expérience du passé et de dédaigner ses défenses. Cette question, le docteur quaker ne l’a point résolue. Au lieu de concilier les deux besoins représentés par le dogmatisme et le mysticisme, il a simplement combiné les axiomes des dogmatiques et des mystiques : l’hypothèse du Christ intérieur et l’hypothèse que la vérité est une. — De cet amalgame de formules est sortie, entre ses mains, une doctrine sans nom qui, du même coup, s’attaque aux deux nécessités qu’il s’agissait de mettre d’accord. À la fois antinomienne et systématique, elle permet d’un côté à l’individu de rejeter l’expérience du passé, et, de l’autre, elle lui défend d’y ajouter la sienne propre. En faisant un devoir au croyant de ne point payer les dîmes, de ne point porter les armes, et en général de ne point se soumettre aux conventions sociales qui ne sont pas confirmées par sa lumière à lui, elle menace, comme le socialisme de nos jours, le principe même de la vie des sociétés. En définissant dogmatiquement la vérité immuable et en enlevant aux raisons individuelles le droit de penser autrement que Fox, elle prétend arrêter le progrès et supprimer la faculté d’apprendre. — Suivant elle, l’individu n’est