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du pays voisin réclament le titre d’Allemands. Un poète, M. Maurice Arndt, a soutenu, aux applaudissemens d’une grande assemblée, que l’Allemagne était partout où se parlait la langue allemande. Quant à l’origine des peuples germaniques, les érudits, assure l’auteur, après avoir proposé bien des systèmes, ont paru tomber d’accord sur un point important : le père des Allemands est le bonhomme Michel, et leur mère est la philosophie ; heureux couple qui a donné le jour à une lignée innombrable ! Les plaisanteries continuent de la sorte, cachant souvent une signification sérieuse sous une forme inoffensive. La description des différentes contrées de l’Allemagne, sous le nom des Marcomans, des Chérusques, des Suèves et des Saxons, renferme maintes allusions piquantes, et, bien que l’auteur ne renonce pas aux puériles espérances qui ont ébloui et bouleversé son pays, ses peintures sont un triste présage pour la constitution de l’unité allemande.

Ce n’est pas encore là, comme on voit, la satire politique du présent, la satire puissante et hardie, telle que devaient la provoquer les désordres de l’Allemagne. Les pamphlétaires ont été aussi embarrassés que les publicistes. Un temps viendra où les équipées du Michel démagogique trouveront le peintre qui leur convient. Les révolutions de 1848, avec leur jactance superbe et les désastres qu’elles ont produits partout forment dans l’histoire moderne un épisode extraordinaire dont la physionomie commence à se dégager nettement. Il y a là une mine féconde pour l’histoire pour le pamphlet, pour la satire, pour l’étude pénétrante des misères de notre pauvre espèce. Les limites de la duperie et de l’imbécillité humaines ont été indéfiniment reculées, tandis que les plus basses passions se divinisaient sur les autels du panthéisme. En Allemagne particulièrement, la candeur des uns et la rage des autres, ce mélange de prétentieuses chimères, de vanteries patriotiques, de concupiscences sauvages, de hideuses impiétés, compose le spectacle le plus étourdissant et le plus triste, un grotesque sabbat à donner le vertige. L’écrivain qui voudra reproduire avec art l’aspect de ces choses sans nom courra grand risque, s’il n’a le regard sûr et la main vigoureuse, d’être vaincu par la réalité. La première condition, c’est la distance ; alors les lignes sont moins brouillées, des groupes se forment dans l’épaisse cohue, une sorte d’unité s’établit parmi ces visions incohérentes, et l’esprit, devenu libre, peut aspirer à comprendre tout le tableau. Au fort de la mêlée, cette tâche n’était pas facile ; aucun écrivain allemand ne l’a tentée. Historiens, publicistes, pamphlétaires, ils semblent tous s’arracher au spectacle de ce qui les entoure ; ils n’en décrivent qu’une partie, ils ont peur de s’élever à une vue d’ensemble et d’être obligés de conclure. Leurs ouvrages sont légers et superficiels ; ces hommes si graves, si réfléchis en temps de calme, sont devenus de frivoles écrivains en présence de ces faits étranges qui devaient provoquer leur observation. De là cette littérature