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de profond et de vivace qui déjoue les calculs, brave l’action de certaines influences, se perpétue à travers les modifications accidentelles, et qu’il ne faut point juger seulement par ces bizarreries extérieures, qui sont, en quelque sorte, les fleurs de l’imagination populaire ? Voyez comme la description de quelques nuances de la vie andalouse ramène naturellement aux problèmes qui dominent notre époque et en font le théâtre de luttes immortelles !

L’Espagne, en effet, est un des pays où s’agitent, dans leur puissance, ces questions qui touchent à la nationalité même des peuples, à l’essence de leur caractère et aux lois secrètes de leurs transformations politiques. Les invasions, les émigrations, les révolutions, qui forment le tissu de son histoire contemporaine, ne devaient-elles pas nécessairement développer sur ce sol sans repos des goûts, des intérêts, des élémens tendant sans cesse à se naturaliser dans les mœurs et à transformer la physionomie de la vie sociale ? M. Mesonero Romanos laisse pressentir les progrès de cette altération dans une de ses esquisses où il rapproche deux dates, 1802 et les années où nous vivons. Durant ce laps de temps que de changemens ont pu s’opérer ! Celui qui aurait quitté la patrie il y a près d’un demi-siècle et qui la reverrait aujourd’hui, dit le curioso parlante, la trouverait « plus brillante et plus ornée ; il observerait plus d’activité dans notre industrie ; il admirerait le progrès des arts et le nombre des établissemens destinés à répandre les connaissances utiles ; il remarquerait le bon goût qui s’introduit dans les maisons, dans les costumes, dans les monumens publics… » Que de qualités traditionnelles, en même temps, dont l’altération sensible le frapperait ! que de signes caractéristiques lui sembleraient à demi effacés ! L’Espagne, elle aussi, dans la vie hasardeuse, a eu à lutter avec cet étrange ennemi que je signalais, — l’esprit d’abstraction. Elle a eu sa constitution de 1812, rêve innocent de candides idéologues qui promulguaient les principes de 1791 en style lyrique ; elle a marqué chacune de ses étapes par des chartes et des statuts mêlés d’aristocratie, de démocratie et surtout de logomachie ; elle a eu ses alchimistes de bonheur public, ses marchands de secrets merveilleux. Par une triste manie d’imitation, elle s’est inoculé parfois des passions qu’elle ne ressentait pas, et a allumé des incendies qu’elle voyait brûler avec regret. Ce que ce tourbillon a produit à la surface de tentatives factices, de nuances artificielles, d’amalgames et d’anomalies, demandez-le aux pages humoristiques de cet autre peintre de mœurs, Larra, qui promenait son bon sens lumineux dans ce royaume des ombres et flagellait de son sarcasme toutes les incohérences, toutes les crédulités chimériques, surtout cette adoration hébétée de la parole abstraite qui énerve le sens national et l’instinct de la réalité dans l’ame des peuples. La Péninsule a vu passer devant elle « ces lanternes