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Voilà les faits. — Quelles conséquences faut-il en tirer ?

Si l’état est réellement constitué, comment expliquer ces désordres intérieurs qui le bouleversent périodiquement par les mains des minorités ? Que veulent dire ces oscillations déréglées et ces retours impétueux vers ce qui paraissait le plus définitivement abandonné ? Les constitutions politiques ressembleraient-elles à ces procédés de culture qui ruinent quiconque les transporte sans tenir compte des différences latentes des terrains ? Tiendrions-nous des Gaulois, nos aïeux, plus que des Anglo-Saxons, nos voisins, ou des Anglo-Américains, nos amis ? Le régime parlementaire, dont nous avons emprunté les formes et le langage à un peuple avec lequel nous avons peu d’affinité, conviendrait-il moins à notre caractère national que ne l’ont cru tant de nobles esprits et de patriotes sincères, et Montesquieu, lorsqu’il nous conseillait de le laisser à la Grande-Bretagne[1], aurait-il eu raison contre eux ? Les assemblées souveraines s’useraient-elles parmi nous encore plus rapidement que les hommes ? Les grandes choses qu’a su nous faire faire Napoléon à la guerre et dans la paix et les sympathies qui lui survivent, indiqueraient-elles que, de tous nos législateurs, il est celui qui a le mieux connu les secrets de la force et de la faiblesse de notre nation, et dont, en un mot, la fibre a le mieux répondu à la nôtre ? Questions redoutables, que soulèvent devant nous les vicissitudes du passé et les ténèbres de l’avenir, dont il est aussi difficile de sonder les profondeurs que de conjurer l’importunité, et qui se résument en celle-ci en serions-nous encore à chercher notre véritable assiette politique, ou l’aurions-nous par hasard traversée et perdue ?

Le nombre et la diversité des constitutions dont nous avons joui depuis le 23 juin 1789, les procédés employés, soit pour les faire, soit pour les défaire, autorisent à ce sujet une grande liberté d’opinions, et l’application du calcul des probabilités à la durée de la constitution de 1848 ne ferait que rendre plus confuse la perspective de l’avenir. Cependant, quelles qu’aient été les erreurs, les fautes, l’impuissance et l’impopularité des assemblées, quelque peu de rancune que les Français aient gardé à Napoléon de la manière dont il les a traités, bien fou serait qui conseillerait aujourd’hui d’en user avec elles comme il le fit. Les poids sont changés dans les deux plateaux de la balance. Bien des assemblées pourront encore se discréditer et se dissoudre ; pourtant les mauvaises applications qui seront faites du principe de la représentation ne sont pas près de l’étouffer. Sous une forme ou sous une autre, les institutions parlementaires seront long-temps la garantie de la durée ou f instrument de la ruine du pouvoir exécutif, et leur destinée mutuelle sera de se sauver ou de se perdre ensemble ;

  1. Esprit des Lois, liv. XIX, c. 5, 6, 7.