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ce mal honteux des sociétés modernes. Le traitement du paupérisme est le problème le plus épineux qui soit posé devant nous ; il exige plus de lumières, de fermeté, de patience, de temps, que la Providence n’en a départi à aucun des gouvernemens de nos jours, et les remèdes par lesquels on a prétendu le guérir n’ont guère eu pour effet que de l’alimenter et de l’étendre. Le prince Louis-Napoléon, il faut lui en rendre grace, n’a point abordé ce sujet par la fausse voie où, se copiant et se prônant les uns les autres, quelques philanthropes de bonne foi et beaucoup de charlatans marchent à une popularité flatteuse ou lucrative. La multiplication des secours, l’élargissement des hospices et des maisons de refuge, les devoirs de la famille mis à la charge de la communauté, ne sont pas ses spécifiques contre le fléau. Il ne veut pas faire descendre les hommes à cet état de dégradation insolente ou servile qui accompagne la mendicité exercée dans un atelier national de Paris aussi bien que celle qui s’agenouille à la porte d’un couvent d’Italie. C’est par le travail, par la propagation de l’esprit de propriété, qu’il prétend éteindre le paupérisme, et il espère remporter cette victoire non-seulement sans qu’il en coûte rien au trésor, mais en l’enrichissant. Malheureusement les détails de l’exécution donnent quelque lieu de craindre que la chaleur des sympathies de l’auteur pour les classes pauvres ne lui ait fait accepter de confiance plus d’une donnée hasardée. Le métier des princes est moins de faire des défrichemens que d’en ordonner, et ils peuvent contenter de déterminer les conditions qui affectent les intérêts généraux auxquels se rattachent les entreprises. Prétendre tout régenter, jusqu’à l’organisation des ateliers de culture, croire à sa prévoyance plutôt qu’au discernement et à l’expérience des hommes qu’on met aux prises avec les difficultés de l’exécution, se priver de l’énergie d’action de la liberté aiguillonnée par l’intérêt individuel, c’est faire tout autre chose que d’assurer le succès. Aussi, l’abstention de proposer aucun projet fondé sur les combinaisons étudiées pour l’extinction du paupérisme n’est pas la moindre des nombreuses preuves de bon sens qu’ait données, depuis quinze mois, l’élu du 10 décembre. Est-ce à dire que la perspective d’un défrichement général des terres incultes ne soit qu’une illusion ? que s’il conserve la généreuse ambition de signaler son gouvernement par la réalisation d’une partie du bien qu’il rêvait dans sa captivité, le président de la république doive renoncer à la satisfaire ? Il vaut mieux répondre à ces questions par un fait que par des vœux et des conjectures.

J’étais, il y a quelques semaines, à Cherbourg, et j’y retrouvais, sous de gigantesques transformations, les chemins où, sortant des bancs de l’école, il m’avait été donné de suivre la trace des pas de l’empereur Napoléon : j’y relisais, inscrits sur le rivage en caractères de granit, des décrets et des ordres que j’avais écrits sous sa dictée pendant son voyage de