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peut, sans puérilité, offrir à nos yeux la défense de Toussaint dans les mornes du Chaos : qu’il ne craigne pas de brûler un peu de poudre ; s’il a pris au sérieux la composition de son œuvre, s’il a dessiné à grands traits la physionomie des acteurs, le spectacle, si tumultueux qu’il soit, ne réussira jamais à distraire l’auditoire du but que l’auteur s’est proposé. Le spectacle n’est puéril que lorsque, au lieu d’encadrer la pensée, il la remplace, comme nous l’avons vu trop souvent. Il peut arriver que la foule applaudisse et ne s’aperçoive pas de la méprise ; mais elle se ravise bientôt, et le poète qui s’est trompé au point de substituer le plaisir des yeux à l’enseignement, à l’émotion, qui a oublié le cœur et l’intelligence, reconnaît qu’il a fait fausse voie. Si cette pensée avait besoin d’être démontrée, il nous suffirait d’ouvrir l’histoire littéraire de ces vingt dernières années. Combien d’œuvres applaudies pour le spectacle et aujourd’hui abandonnées, oubliées, parce que l’intelligence et le cœur demeuraient inoccupés en les écoutant !

Certes je n’ai pas la prétention de tracer en quelques lignes le programme d’un poème dramatique. Ma pensée, qu’on le sache bien, est beaucoup plus modeste. J’indique franchement ce que j’aperçois de poétique dans la vie de Toussaint Louverture, ce qui me semble convenir au théâtre. Quant à la mise en œuvre de ces élémens, c’est une question délicate, qui ne peut être résolue sans de mûres réflexions, et que je n’essaie pas de résoudre en ce moment. Comparons maintenant l’histoire au drame de M. de Lamartine. Je me crois dispensé de déclarer qu’à mes yeux l’histoire n’est pas la règle suprême de la poésie ; à cet égard, ma profession de foi est faite depuis long-temps. Toutefois la comparaison que je propose, poursuivie avec sincérité, n’est jamais stérile. S’il arrive en effet que la poésie demeure au-dessous de l’histoire, si, au lieu de dominer la réalité, de l’agrandir en l’interprétant, elle substitue aux ressorts naturels que l’histoire lui fournit des moyens puérils et mesquins, n’aurons-nous pas le droit de la déclarer infidèle à sa mission ?

Le premier acte du drame nouveau est conçu comme le début d’un opéra. Les danses et les chants servent à encadrer un morceau lyrique la Marseillaise noire, récitée comme une leçon, commentée par les personnages qui l’écoutent. Le refrain, répété en chœur, donne le signal de la danse. Je ne veux pas bannir le chant de la poésie dramatique, je crois même qu’employé à propos il peut donner plus de vivacité à la représentation des scènes populaires ; mais il faut, pour atteindre ce but, que le chant tienne peu de place et ne détourne pas l’attention de la pensée principale. Or, dans le premier acte de Toussaint Louverture, le chant n’a guère moins d’importance que la déclamation. Les strophes de la nouvelle Marseillaise, qui célèbrent la délivrance de la race africaine, qui prêchent le pardon, la concorde, sont