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quelques fleurs dans des verres, des chapelets suspendus à un christ en bois, un lit tout blanc ; une guitare (celle de sa mère) était accrochée au mur. De la fenêtre, à cette hauteur, on dominait la prairie, on voyait le fleuve et les saules. Christine était assise sur le pied de son lit ; elle pleurait encore ; sa mère était auprès d’elle et lui présentait un peu de lait et du pain sur lesquels Christine laissait tomber ses pleurs. Annunciata baisait les yeux de sa fille, puis, en cachette, essuyait ses propres larmes.

Guillaume entra ; il s’arrêta quelques instans sur le seuil de la porte, et regarda avec émotion le tableau qui s’offrait à ses yeux.

Ces deux femmes, l’une déjà belle, l’autre belle encore, toutes deux si semblables de visage, que l’une paraissait être le passe, la jeunesse de l’autre ; l’une pleurant comme il avait vu pleurer l’autre, la fille qui semblait recommencer les douleurs de la mère, et lui, témoin des larmes, mais non confident de la souffrance, il s’attendrissait cherchant vainement le remède à tant de maux.

— Oh ! s’écria Guillaume en portant sa main à ses yeux, si je m’étais marié, moi, j’aurais voulu voir près de moi des visages heureux ; jamais voulu voir ma femme joyeuse et parée, avec un beau diadème d’or et de perles sur le front, partir pour les kermesses ; j’aurais voulu entendre ma fille chanter tout le long du jour ; j’aurais voulu que la maison fût une demeure pleine de joie et de rires. Oh ! mes pauvres et chers enfans, voyons, prenez courage ; je viens de travailler pour vous, j’ai parlé longuement de vous à mon frère ; je n’ai guère obtenu de réponse, mais une bonne parole qui arrive jusqu’au cœur y germe comme le grain dans la terre. Demain sera peut-être meilleur qu’aujourd’hui, il faut savoir attendre sa destinée.

— Mon frère, mon bon frère, parlez à mon entant ! répondit Annunciata, elle ne sait plus ni prier ni obéir ; son cœur n’est plus soumis, et ses larmes seront sans fruit, car elle menace et murmure. Demandez-lui, mon frère, qui lui a dit que la vie ressemblait au bonheur, que nous ne vivions que pour être heureux ? Enseignez-lui le devoir et donnez-lui la force qui sait l’accomplir.

— Votre mari vous demande, ma sœur ; moi, je vais rester près de Christine, je lui parlerai.

— Je descends, mon frère, répondit Annunciata, et elle s’approcha du miroir de la cheminée, mouilla ses yeux pour que les traces de ses larmes disparaissent, posa sa main sur son cœur pour en arrêter l’agitation, et, quand son visage n’exprima plus que calme et silence, elle descendit à pas lents.

La servante Gothon était assise sur les marches de l’escalier.

— Vous la gâtez ! madame, dit-elle brusquement à sa maitresse ; de folles oreilles ont besoin d’entendre de rudes paroles ; vous la gâtez !