Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donner encore à cette ame pure l’audace qui brave tout. Elle se sentait frémir. Toutes les sages paroles entendues dans la maison paternelle, toutes les pieuses exhortations de l’oncle Guillaume, toutes les saintes prières apprises depuis l’enfance bourdonnèrent à ses oreilles ; son christ de bois semblait la regarder ; les grains de son chapelet étaient chauds encore de la pression de ses doigts.

— Oh ! mon rêve, mon rêve ! dit-elle : Herbert qui appelle sa fiancée ! ma mère qui appelle sa fille ! Lui, la vie et l’amour ! elle, la mort et le ciel !… O mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria Christine en sanglotant.

Un instant elle essaya de regarder l’avenir en se disant qu’elle ne fuirait pas, qu’elle resterait dans cette triste maison, qu’elle vivrait isolée, pleurant Herbert, vieillissant sans lui, sans affection, entre ces murs sombres, où nulle parole venant du cœur ne se ferait plus jamais entendre. Elle détourna les yeux avec horreur, elle sentait que cet avenir était impossible. Elle pleura amèrement ; elle baisa son chapelet, son livre de prières, comme si elle avait voulu dire adieu à tout ce qui avait vu l’innocence de ses premières années ; puis son cœur se mit à battre violemment. Le feu de son regard sécha ses larmes. Elle contempla la rivière, la voile blanche qui semblait faire de loin un appel à ses sermens d’amour ; elle poussa un sanglot, comme si elle brisait irrévocablement les liens qui devaient unir son passé à son avenir. Sa mère n’était plus là… Avec elle, toutes les saintes pensées gardiennes de l’innocence s’en étaient retournées au ciel. Christine, livrée à elle-même, suivit l’impulsion de sa nature passionnée ; elle pleura, elle trembla,, elle hésita, puis elle s’écria : — Ce soir, à minuit, je serai sur les bords du fleuve ! — Christine essuya ses larmes, resta quelques instans immobile pour calmer l’horrible agitation qui s’emparait de son ame. Un avenir immense se déployait devant elle ; la liberté allait lui être donnée ; un autre monde se découvrait à ses yeux ; une vie nouvelle commençait pour elle.

Il fallut que Christine passât silencieusement la journée à travailler avec ses sœurs ; le fil se brisa maintes fois sous ses doigts ; sa main oubliait de tirer son aiguille ; ses yeux rêveurs contemplaient l’horizon et ne regardaient qu’à travers des larmes ; le temps pour elle semblait s’arrêter ; mille pensées confuses se pressaient dans sa tête : Herbert, l’avenir, une douce vie de bonheur

Pendant ce temps, Wilhelmine à moitié endormie chantait lentement et à demi-voix en faisant tourner son rouet. Christine, presque malgré elle, malgré le trouble de son ame, écouta les bizarres paroles de la chanson. Elles étaient à peine prononcées, on eût dit que Wilhelmine ne faisait que prêter sa voix à quelque être invisible qui parlait par sa bouche, tant elle paraissait insensible à ce qu’elle disait. Wilhelmine chantait cette romance :