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— Bonsoir, Wilhelmine ! bonsoir, Maria ! murmura Christine. Les deux sœurs se retournèrent, Christine vit leurs douces figures sourire et leurs mains s’appuyer sur leurs lèvres pour envoyer un baiser ; puis elle s’éloignèrent sans avoir rompu le silence.

Christine se trouva seule chez elle ; elle ouvrit m fenêtre ; la nuit était calme, des nuages passaient souvent sur la lune et voilaient par momens la clarté de ses rayons. Quelques étoiles brillaient entre chaque nuage. Christine ne fit aucun préparatif de départ ; elle prit seulement le chapelet que sa mère lui avait donné et le ruban bleu attaché depuis si longtemps à la guitare ; elle se couvrit de son mantelet noir et vint s’asseoir près de la fenêtre ; son cœur battait bien fort, mais aucune pensée distincte n’agitait son esprit. Tout son corps tremblait, et elle ne se sentait nulle terreur ; ses yeux étaient remplis de larmes, et elle n’éprouvait nul regret. C’était pour elle une nuit plus solennelle que triste ; le moment de la lutte était passé. Christine était irrévocablement décidée, elle attendait.

Qu’une heure peut compter différemment dans nos destinées ! Pour Wilhelmine et Maria, qui dormaient, l’heure de ce moment-là n’était rien. Pour l’oncle Guillaume, qui était entre la veille et le sommeil, elle avait sa valeur véritable. Pour Karl Van Amberg, qui travaillait, elle était courte. Pour Christine, qui attendait, elle était éternelle. Elle regardait la nuit et s’abîmait dans ses pensées, elle ne comprenait pas le calme des choses en présence de l’agitation de son ame. Elle se disait : — Avec la même impassibilité, la nuit passe donc sur l’univers entier ! Rien ne trouble l’aspect de sa voûte immense, qu’elle s’étende sur les heureux de ce monde ou sur les infortunés dont le cœur se déchire ! Elle est le silence éternel, le repos éternel ! — Et la jeune fille inquiète, effrayée, ajouta à voix basse : — Mon Dieu, que tout est sombre et silencieux autour de moi ! Herbert, que j’ai hâte d’entendre votre voix ! — Puis Christine pleura comme eût pleuré un enfant.

Enfin le moment vint où l’horloge de la maison rouge sonna lentement minuit ; chaque coup retentit dans le cœur de Christine ; elle se leva et resta un instant immobile ; elle rassembla ses forces, son courage, sa volonté ; puis, se tournant vers l’intérieur de la chambre : — Adieu, ma mère ! — murmura-t-elle. Bien des êtres vivans reposaient sous ce toit, et Christine croyait ne quitter que celle qui n’y était plus. — Adieu, ma mère !— répéta-t-elle. Alors, ainsi qu’elle en avait arrêté le plan dans sa tête, elle s’approcha de la fenêtre ; le treillage destiné à des plantes grimpantes tapissait le mur peu élevé. D’un pied ferme, Christine atteignit le treillage, sa main se cramponna aux branches des espaliers ; elle descendit lentement, s’arrêtant chaque fois que son pied ou sa main faisait craquer un peu de bois mort ou de feuillage. Le silence était si grand que le plus léger bruit semblait