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barque fatale, que l’on ne voyait pas encore, se rapprochait à chaque instant : son ombre se projetait sur le fleuve, elle se mêlait presque au sillage du canot d’Herbert

Christine se leva toute droite et regarda derrière elle ; en ce moment, la lune, se dégageant d’un nuage, éclaira en plein le pâle et impassible visage de M. Van Amberg. Christine poussa un cri déchirant, et, se précipitant vers Herbert :

— C’est mon père ! cria-t-elle ; Herbert c’est mon père !

Herbert aussi venait de voir M. Van Amberg. L’étudiant avait vécu trop long-temps dans la maison de Karl Van Amberg pour n’avoir pas subi, comme tout ce qui l’entourait, l’étrange fascination que cet homme exerçait par un seul regard. L’obscurité semblait s’être entr’ouverte pour montrer aux deux fugitifs le père, le maître, le juge.

— Herbert, arrêtez, s’écria Christine, nous sommes perdus ! il n’y a plus de salut possible : n’ avez-vous pas vu mon père ?

— Laissez-moi ramer, répondit Herbert désespéré en se dégageant de l’étreinte de Christine, qui arrêtait son bras. Il donna un coup d’aviron si violent, que la petite barque bondit sur le fleuve et sembla gagner un peu de distance.

— Herbert, reprit Christine, je vous dis que nous sommes perdus ! ne voyez-vous pas mon père ?… vous savez bien que toute résistance est maintenant inutile. Dieu ne fera pas un miracle en notre faveur… Herbert, je ne veux pas retourner dans la maison de mon père. On va nous atteindre et nous séparer ! faites chavirer cette barque et mourons ensemble, cher Herbert !

Christine se précipita dans les bras de son ami ; les rames s’échappèrent des mains du jeune homme ; il poussa un cri d’angoisse et serra convulsivement Christine sur son cœur. Un instant, un seul instant, il eut la pensée d’obéir à Christine et de se laisser avec elle tomber dans le fleuve ; mais Herbert avait un noble cœur, il repoussa cette tentation du désespoir.

— Non, dit-il ; Dieu t’a donné la vie. lui seul doit te l’ôter ! ma main, qui aurait voulu jeter à tes pieds tous les trésors de ce monde, ne te donnera pas la mort !

Et comme Christine sanglotait, la tête appuyée sur son épaule :

— Ma fiancée, mon amie lui dit-il d’une voix étouffée, soyez bénie ! Vous m’avez aimé avec courage ; votre dévouement a tenté l’impossible ; vous avec osé vous confier à moi, et, malheureux que je suis, je ne puis vous défendre ! O ma pauvre Christine, obéissez à votre père, que je ne sois pas cause de votre éternel malheur !… Mon Dieu ! ne me donnerez-vous aucun moyen de la sauver ?

Et Herbert jetait un regard désespéré sur le fleuve, sur les rives ; il cherchait une chance de salut il n’y en avait plus !