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pour l’aimer ; il est paisible, sans grande pauvreté, sans grande richesse ; peuplé ni très désert. Le ciel est un peu nuageux, le vent de la mer souffle presque constamment. Dans son élan, la bourrasque ne s’arrête pas où finissent les vagues, elle court encore quelque peu sur les terres voisines, et tourbillonne au-dessus des toits de chaume du village. Une rare verdure ne se mêle que de loin en loin aux lignes arides de l’horizon. Ceux qui étaient venus là construire une demeure pour y prier éternellement avaient sans doute cette foi terme et droite qui sait trouver des prières sans le secours de ce qui exalte l’imagination.

Ce sont les portes de ce couvent qui se refermèrent sur Christine Van Amberg. C’est dans ce lieu austère, séjour du silence et du dépouillement de soi-même, que Christine entra, pleine de jeunesse, de vie et d’amour. Il lui sembla que la pierre d’un tombeau venait de se sceller sur sa tête.

Dans une cellule qui n’avait rien qui la rendit plus commode ou plus ornée que les autres cellules du couvent. la supérieure était assise près d’une fenêtre, et lisait une lettre. C’était une femme de quarante ans, d’une physionomie douce, un peu pâle, un peu délicate, mais calme et pleine de sérénité. On eût dit à la voir qu’elle n’avait jamais senti un rayon de soleil ou entendu le bruit du monde ; cela était vrai en effet. La supérieure était entrée toute jeune au couvent, et y avait passé sa vie ; elle ne savait rien du reste de la terre. La religion n’était pas venue pour elle comme une consolation après des larmes ; elle avait été le commencement et la fin. Dans l’ame de la religieuse, tout était repos ; cette ame était semblable à un arbre dont le feuillage n’aurait jamais été effleuré par le vent. Le calme de la première heure de son existence avait continué durant toute sa vie. Ses yeux n’avaient jamais regardé que les murs du couvent. Ses oreilles n’avaient entendu que les voix douces et basses de ses compagnes, que le chant des prières, que le son des cloches. Son cœur n’avait jamais senti autre chose que de l’indifférence pour le monde et de pieux désirs de s’envoler dans le sein de Dieu. Elle ne savait pas que l’on pût aimer la vie. Elle y passait, sans compter les jours, ne se permettant pas d’en souhaiter la sortie, pas plus qu’elle ne permettait à son pied de marcher vite sur les dalles du couvent. Elle était mesurée, retenue de gestes, de mouvemens et de pensées, heureuse de ce bonheur toujours égal que donnent une communauté, elle s’appelait sœur Louise-Marie. En ce moment, elle s’appelait la Supérieure. Après trois années écoulées, elle devait avoir le bonheur de rentrer parmi les sœurs qui n’ont d’autres soins à prendre que celui de prier.

Voici la lettre que la supérieure lisait :