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— Donnez-moi l’anneau de votre fiancé, je vous le rendrai, si vous sortez d’ici. Quant aux cheveux de votre mère, écoutez : à l’extrémité des galeries du préau, il y a dans l’épaisseur de la muraille des chapelles où, chaque printemps, nous apportons les prémices de nos fleurs et de nos fruits ; il est quelquefois permis d’y déposer les reliques chères à nos cœurs : allez-y mettre comme un dépôt sacré les cheveux de votre mère ; de là vous pourrez les voir et prier devant l’autel qui les aura reçus.

Christine suivit la supérieure ; elles s’avancèrent en silence sous les galeries couvertes qui ferment les quatre côtés du préau. Leurs pas seuls retentissaient sur les dalles de pierre ; le coin du ciel qu’on apercevait au-dessus des murailles était voilé de nuages ; le jour éclairait mal les murs noircis par le temps : tout était solitaire et silencieux. Ce n’était pas un de ces couvens où les jeunes filles que l’on élève apportent la jeunesse, le bruit, le mouvement à côté du calme austère de la vie religieuse : c’était un couvent entièrement adonné au silence, à la prière, au dépouillement de soi-même, et il n’y a que les âmes ou très simples ou très élevées qui puissent comprendre la beauté de ce grand calme. Les âmes malades comme celle de Christine devaient reculer intimidées à l’aspect de ce saint lieu.

La supérieure s’arrêta devant une petite chapelle dédiée à la Providence. On voyait que cette chapelle était aimée. De nombreuses offrandes étaient venues l’orner. On eût dit que là le repos était encore plus grand qu’ailleurs ; il y faisait plus sombre. Dans cet angle des murs, le soleil disparaissait plus tôt qu’à l’autre extrémité du cloître. La supérieure prit les cheveux de la mère de Christine et les déposa sur l’autel. Christine, à genoux par terre, ou plutôt affaissée sur elle-même, s’écria :

— Mon Dieu ! je ne vous les donne pas, vous me les arrachez !

— Ma fille, dit la supérieure en posant doucement sa main sur l’épaule de Christine, veillez à vos paroles, à vos pensées : Dieu est là sur cet autel ; sous vos pieds, il y a des tombes ; ces dalles sont des tombeaux. Sœur Van Amberg, restez ici quelques instans en prières, puis vous nous suivrez quand nous traverserons cette galerie pour nous rendre au chœur.

Christine resta seule ; elle était debout, immobile, n’osant faire aucun mouvement. La soirée était douce et sereine ; un silence de paix régnait partout. L’herbe qui croissait dans le préau était éclairée par les premiers rayons de la lune. Les tombes que le gazon recouvrait n’avaient rien de sinistre. C’était un saint repos après une sainte vie ; mais aux regards troublés de Christine nulle chose n’apparaissait dans sa vérité. L’obscurité naissante, le voisinage des morts, les vêtemens noirs qu’elle portait, ce nom de sœur Van Amberg qui semblait dire