Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souffrir. Elle s’asseyait près des portes, près de ces portes éternellement fermées ; mais il lui semblait que là l’air libre lui arrivait mieux qu’au milieu du couvent. Quand la maîtresse des postulantes s’arrêtait près d’elle et cherchait par quelques douces paroles à la calmer, Christine ne répondait pas, baissait la tête sur sa poitrine et pleurait encore.

La supérieure, témoin silencieux et éclairé de toute cette douleur, s’émut dans sa conscience. Après avoir long-temps regardé Christine, elle prit une plume et écrivit ce qui suit :


A MONSIEUR KARL VAN AMBERG.

« Mon très cher parent,

« Vous m’avez envoyé votre fille en me témoignant le désir qu’elle se fît religieuse. Je viens vous dire qu’après de mûres réflexions et un attentif examen il ne me paraît pas qu’il en doive être ainsi. Dieu appelle parfois des âmes pieuses et heureuses, qui viennent à lui au commencement de leur vie avec allégresse et confiance : d’autres fois il appelle des âmes brisées par le malheur, qui viennent à lui comme au grand consolateur de toutes souffrances ; mais il n’ouvre pas sa sainte demeure à ceux qui n’y viennent que par obéissance à la volonté d’autrui, et dont le cœur se déchire du sacrifice. Ceux-là aussi sont ses enfans pourtant, mais il leur dit : « Allez me servir ailleurs. » Il y aura place dans le ciel pour tous les serviteurs de Dieu, quelle que soit la vigne à laquelle ils auront travaillé. Je vous adjure, mon cher parent, d’envoyer chercher votre fille Christine, d’étendre sur elle votre indulgence et de la laisser vivre dans la maison paternelle, qui est aussi une des maisons de Dieu. Ici votre fille ne saurait être heureuse, et ici nous sommes toutes heureuses. Que Dieu soit avec vous, mon très cher parent !

« Sœur Louise-Marie,

« Supérieure du couvent de la Visitation à ***. »


Puis la supérieure attendit, entourant Christine de repos et de silence, et demandant à Dieu de venir au secours de cette enfant désolée. Mais c’étaient ce silence et ce repos qui tuaient Christine. Elle eût voulu pouvoir éclater en reproches, pouvoir troubler tout ce qui l’entourait par le trouble de son cœur. Les lois du couvent pesaient sur elle comme un joug de fer.

La règle et l’habitude, qui font l’ordre et l’harmonie, n’apparaissaient à cette ame malade que comme la tyrannie d’une volonté autre que la sienne. Quand de hautes pensées n’ont pas amené le sacrifice volontaire de soi-même, les choses qui l’exigent matériellement, soumettant les actions sans soumettre l’esprit, ne nous atteignent qu’en nous faisant cruellement souffrir. Si Christine marchait, il fallait