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traversait. Enfin, on atteignit la petite maison aux briques rouges ; la voiture roula dans la cour que L’herbe envahissait déjà. Gothon vint au-devant d’eux.

— Soyez la bienvenue, mademoiselle, murmura la vieille servante.

Marthe-Marie, appuyée sur le bras de son oncle, entra dans le parloir où la famille Van Amberg était si souvent réunie. Le salon était désert et froid ; ni livre ni ouvrage ne lui donnait l’apparence de l’habitation ; vide de ses derniers hôtes, il attendait les nouveaux. On dirait que les lieux ont une vie qu’ils prennent ou quittent, selon qu’on vient à eux ou qu’on s’en éloigne. Christine traversa lentement cette salle bien connue, et vint s’asseoir sur la chaise restée près de la fenêtre qui donnait sur la prairie. C’était là que sa mère avait vécu vingt ans, là que son enfance s’était écoulée auprès d’Annunciata.

Guillaume ouvrit la fenêtre, lui montra la pelouse, et plus loin le fleuve et les saules. Christine regarda silencieusement, la tête appuyée sur sa main, les yeux fixés sur l’horizon. Guillaume resta long-temps près d’elle, puis il posa sa main sur l’épaule de Christine, et l’appela doucement ; elle se leva. Il lui dit de le suivre, elle le suivit. Ils montèrent l’escalier de bois, traversèrent la petite galerie, et Guillaume ouvrit une porte.

— La chambre de ta mère ! dit-il à Christine.

La novice fit quelques pas, puis s’arrêta au milieu de la chambre, des larmes coulèrent de ses yeux ; elle joignit les mains et pria.

— Ma fille, lui dit Guillaume, elle a ardemment souhaite ton bonheur.

— Elle l’a obtenu, répondit la novice.

Le vieillard se sentait atteint d’une mortelle tristesse. Il lui semblait presser sur son cœur une morte à laquelle son amour ne rendait ni souffle ni chaleur.

Marthe-Marie s’avança vers le lit de sa mère, se prosterna et posa ses lèvres sur l’oreiller qui soutint la tête mourante d’Annunciata.

— Ma mère, ma mère, à revoir bientôt ! murmura-t-elle.

Guillaume tressaillit ; il emmena Christine, et la conduisit dans sa petite chambre d’autrefois. Le lit aux rideaux blancs était même là ; la guitare était restée suspendue au mur ; les livres que Christine avait aimés remplissaient les rayons de sa petite bibliothèque de bois. La fenêtre était ouverte et laissait apercevoir les saules et le fleuve ; mais Marthe-Marie ne regarda rien de tout cela. Le crucifix de bois était encore sur la muraille ; d’un pas rapide, Christine se dirigea vers lui, s’agenouilla, s’affaissa sur elle-même, appuya sa tête sur les pieds du Christ, ferma les yeux et respira, comme lorsqu’après une longue fatigue on trouve le repos. Elle ne regarda rien, ni cette demeure de ses premières années, ni le jardin qu’elle avait tant parcouru, ni le fleuve