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sa personne sans grace, ses traits austères jusqu’à la dureté. Cette rude enveloppe couvrait en lui une ame ardente pour le bien public, avide d’action et de pouvoir, mais encore plus dévouée qu’ambitieuse[1]. Glacial pour les solliciteurs et peu sympathique aux plaintes de l’intérêt privé, il s’animait de tendresse et d’enthousiasme à l’idée du bonheur du peuple et de la gloire de la France[2]. Aussi tout ce qui constitue le bien-être, tout ce qui fait la splendeur d’un pays fut-il embrassé par lui dans ses méditations patriotiques. Heureuse la France de tout le bonheur où alors elle pouvait aspirer, si le roi, qui avait cru à Colbert sur la parole de Mazarin mourant[3], eût toujours suivi l’admirable guide que la Providence lui donnait ! Du moins, dans les vingt-deux ans de ce ministère mêlés de confiance et de défaveur, il lui permit de mettre la main à presque toutes les parties du gouvernement, et tout ce que toucha Colbert fut transformé par son génie. On est saisi d’étonnement et de respect à la vue de cette administration colossale qui semble avoir concentré dans quelques années le travail et le progrès de tout un siècle.

S’il y a une science de la gestion des intérêts publics, Colbert en est chez nous le fondateur. Ses actes et ses tentatives, les mesures qu’il prit et les conseils qu’il donna prouvent de sa part le dessein de faire entrer dans un même ordre toutes les institutions administratives,

  1. « Il est homme sans fastidie ; sans luxe, d’une médiocre dépense, qui sacrifie volontiers tous ses plaisirs et ses divertissemens aux intérêts de l’état et aux soins des affaires. Il est actif et vigilant, ferme et inviolable du costé de son devoir ; qui fuit les partis et ne veut entrer en aucun traité sans en donner connoissance au roy et sans un exprès commandement de sa majesté ; qui témoigne n’avoir pas grande avidité pour les richesses, mais une forte passion d’amasser et de conserver les biens du roy. » (Les Portraits de la cour, Archives curieuses de l’histoire de France, 3e série, t. VIII, p. 371.) - Voyez l’Histoire de la vie et de l’administration de Colbert, par M. Pierre Clément ; la Notice sur Colbert, par Lemontey, et le rapport lu par M. Villemain à la séance annuelle de l’Académie française, le 17 août 1848.
  2. « Je voudrais que mes projets eussent une fin heureuse, que l’abondance régnât dans le royaume, que tout le monde y fût content, et que, sans emplois, sans dignités, éloigné de la cour et des affaires, l’herbe crût dans ma cour ! » (Paroles de Colbert citées par d’Auvigny, Vies des hommes illustres de la France, t. V, p. 376.) - « Je déclare en mon particulier à votre majesté qu’un repas inutile de 3,000 livres me fait une peine incroyable, et lorsqu’il est question de millions d’or pour la Pologne, je vendrais tout mon bien, j’engagerais ma femme et mes enfans, et j’irais à pied toute ma vie pour y fournir, s’il étoit nécessaire. » (Lettre de Colbert à Louis XIV, Particularités sur les ministres des finances, par M. de Monthyon, p. 44.)
  3. « On dit que le cardinal mourant lui avoit conseillé de se défaire de Fouquet comme d’un homme sujet à ses passions, dissipateur, hautain, qui voudroit prendre ascendant sur lui, au lieu que Colbert, plus modeste et moins accrédité, seroit prêt à tout et régleroit l’état comme une maison particulière. On dit même qu’il ajouta ces mots (et M. Colbert s’en vantoit avec ses amis) : « Je vous dois tout, sire, mais je crois m’acquitter en quelque manière en vous donnant Colbert. » (Mémoires de l’abbé de Choisy, collection Michaud et Poujoulat, 3e série, t. VI, p. 579.)