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religieuses. A-t-on jamais songé à condamner la religion, à repousser ses bienfaits, à nier sa lumière, par cela seul que les aberrations de l’intelligence ou de l’orgueil humain peuvent emprunter mensongèrement les formes de la parole révélée ? L’erreur existe partout dans le monde à côté de la vérité. C’est à l’homme de choisir ; mais, quand il se laisse aller à un mauvais choix, il n’a pas le droit d’accuser la Providence, qui lui avait donné la liberté et la raison pour en faire un meilleur usage.

Ce sont les mauvaises passions qui ont engendré le socialisme à toutes les époques de l’histoire : le socialisme est fils de l’envie. Les hommes qui n’ont pas su trouver leur place dans l’ordre social ou qui l’ont perdue par leur faute se dressent comme des Titans contre la société et contre le ciel. Ils osent dire que ce que Dieu a fait est mal fait, et proposent de le refaire. Ils vont chercher tous ceux qui sont mécontens de leur sort, et, leur offrant le bien d’autrui en pâture, les mènent à l’assaut des pouvoirs établis. Mais pour qu’ils réussissent, ne fût-ce qu’un moment, pour qu’ils ne prêchent pas dans le désert, deux conditions sont nécessaires : l’inhabileté ou la méchanceté de ceux qui gouvernent, et l’ignorance de ceux qui sont gouvernés. Ces conditions se rencontraient au plus haut degré dans la société européenne au moyen-âge ; de là l’importance que prirent, dès leur origine, l’insurrection des hussites en Allemagne et en France la jacquerie.

Dans l’explosion de cette traînée de poudre qui s’étendit en un clin d’œil, au mois de février 1848, de Paris à Vienne et de Naples à Berlin, quelle est aujourd’hui la contrée la plus tranquille ? Quel est le royaume en Europe où la peste noire du socialisme ne semble pas avoir pénétré ? Tout le monde a nommé la Grande-Bretagne. À quoi tient cette salubrité morale, ce privilège de conjurer une tourmente à laquelle rien ailleurs n’a résisté ? Certes, si la prédilection pour les réformes économiques, si le rang même qu’occupe la richesse dans un pays doit y amener, comme le prétend M. Donoso Cortès, le socialisme dans le parlement et dans les rues, l’Angleterre aurait dû être la première et la plus rudement atteinte. Voilà au contraire ce qui l’a préservée. Malgré l’extrême disproportion qui existe entre l’aristocratie et les classes inférieures de cette contrée et qui semblait inviter le socialisme, l’Angleterre, enveloppée de sa civilisation comme d’une armure impénétrable, échappe au mal naturellement et sans effort. Le socialisme n’a pas de prise sur la nation anglaise, premièrement parce qu’elle est riche, secondement parce qu’elle est bien gouvernée, troisièmement enfin parce que les connaissances économiques y sont trop répandues pour que le plus humble ouvrier comme le plus puissant capitaliste pense avoir quelque chose à gagner et ne croie pas au contraire avoir tout à perdre au renversement de la société.