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Dans la Grande-Bretagne, l’ouvrier a le pain à bon marché, et il continue à recevoir un salaire exceptionnel, qui peut lui faire prendre le pouvoir et la fortune de l’aristocratie en patience. Le bien-être d’en bas devient le contre-poids de la richesse et de la grandeur d’en haut. L’abondance règne dans les finances publiques, l’ordre dans l’état, l’harmonie et la prospérité dans les régions diverses de la société ; par quelle porte pourraient s’y introduire les passions anarchiques ?

C’est dans les pays les moins libres et parmi les populations les moins éclairées que le socialisme devait faire et qu’il a fait le plus de ravages. Les paysans de la Gallicie n’avaient pas attendu la révolution de février pour massacrer les nobles, pour incendier les châteaux et pour piller les propriétés. Il est vrai que les Allemands ne se jettent pas dans la guerre intestine des barricades avec la même furie ni avec la même résolution que les Français. Qui doute cependant que le socialisme soit plus monstrueux dans ses théories, plus répandu et plus profondément enraciné en Allemagne qu’en France ? Avant l’année 1848, l’Autriche se voyait condamnée par son gouvernement à une existence purement animale. La douane interceptait au passage les livres, les journaux et les idées. La discussion était interdite, les réformes économiques, pas plus que les réformes politiques, ne trouvaient grace devant le système d’immobilité adopté par M. de Metternich. L’Autriche demeurait la terre classique du statu quo. Aucune agitation, depuis la paix, n’en avait ridé la surface. Et pourtant, lorsque l’heure des révolutions a sonné, il s’est trouvé que les idées anarchiques avaient fait leur chemin inaperçues, et que le vieux levain du socialisme remuait les cœurs comme au temps de la guerre de trente ans.

Non, l’ignorance n’est pas un préservatif ni une défense contre l’anarchie. C’est en éclairant les hommes sur leurs véritables intérêts, c’est en recherchant, en enseignant comment les sociétés prospèrent et par quels chemins elles vont à leur perte, que l’on peut assurer leur marche et fortifier leurs institutions. Jean de Leyde prêchait le socialisme les armes à la main, bien avant que Turgot et Adam Smith eussent déterminé les principes de la science économique. C’est l’ignorance de l’économie politique qui fait aujourd’hui, comme alors, les frais de la propagande socialiste ; le troupeau des simples suit aveuglément la direction que lui donnent quelques fanatiques et un plus granit nombre de coquins.

Je sais bien que l’on ne convertira les socialistes ni par des argumens ni par des réformes. Il s’agit maintenant bien moins d’éclairer que de vaincre. L’ardeur des ambitions et les engagemens de parti ont fermé ou faussé les intelligences. Réprimons avant tout : le moment d’enseigner viendra plus tard ; mais, même au milieu de cette lutte acharnée que la civilisation soutient contre la barbarie, rien n’empêche