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labeur que le mien ! Que de professeurs n’ai-je pas entendus ! que de livres n’ai-je pas lus ! que de nuits n’ai-je pas passées dans l’insomnie ! O savarts, me voilà maintenant votre égal ! Et si je vous demandais Que savez-vous ? qu’enseignez-vous ? — si je trahissais le secret du métier, — la honte vous consumerait le cœur, si vous pouviez avoir quelque honte, ô philosophes ! Fermez vos livres, et écrivez sur les couvertures de tous vos volumes cette sentence unique que je suis prêt à signer. L’homme est né pour savoir de toute chose et pour ne rien savoir sur lui-même. »

La science rationnelle est donc condamnée, ainsi que la théologie stérile. Comment Venceslas reviendra-t-il à la foi ? Par un retour sur lui-même à la vue de quelques paysans polonais qui ont conservé une ferme croyance en la patrie et en Dieu, par l’enthousiasme, par l’essor spontané de l’esprit, que ce touchant spectacle d’un beau fait moral éclaire d’une soudaine et pénétrante lumière.

Ici s’élève une des questions les plus délicates de la philosophie slave. L’intuition est l’instrument de la connaissance ; mais l’intuition est une faveur qui n’appartient pas indistinctement à tous au même degré. Sans être, tant sans faut, aussi exceptionnelle que la science, elle est, lorsqu’elle arrive à une certaine hauteur, le privilège de la vertu et du génie. De là la nécessité d’un intermédiaire entre la vérité et la multitude. De là le fait naturel des révélations religieuses ; de là les dieux, les demi-dieux, les saints, les héros, ce petit nombre d’hommes qui nourrissent l’humanité de leur parole et de leurs exemples. Si par ce côté les slavistes se rapprochent de la méthode chrétienne, ils y touchent encore de plus près dans la grande question des œuvres. La foi qui n’agit pas n’est point la foi. La foi se compose de deux termes, dont le premier est l’affirmation de la vérité et le second l’action à laquelle cette vérité doit conduire. Sans l’acte, la croyance ne suffit nullement à constituer la foi ; mais les œuvres elles-mêmes ne sont vivantes et méritoires que par l’esprit qui les inspire.

Où sont aujourd’hui les chrétiens qui comprennent ainsi l’Évangile ? En quel pays se sont conservées les vraies traditions du christianisme ? Parmi les catholiques de Pologne, de Bohême et de Croatie, répondent les slavistes. Dans ces contrées, le prêtre est resté l’homme de Dieu ; il porte encore dans sa vie et sur son front les marques de sa supériorité intellectuelle et de ses vertus. Là aussi l’on rencontre encore des citoyens qui seraient prêts à s’armer et à combattre pour la défense de la religion : la Pologne, suivant quelques-uns, serait encore la colonne même du catholicisme dans le monde entier. On connaît le Rêve de Césara, ou la vision de la nuit de Noël, poème éloquent de l’auteur de la Comédie infernale, empreint de la couleur religieuse qui caractérise tous ses écrits. Après la sanglante catastrophe de la Pologne,