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de la parole ; il aimera les hommes, et brillera comme un héros au milieu de ses frères. Et à celui qui ne te restera pas fidèle, à celui qui te trahira avant le temps et te livrera aux joies périssables des hommes, tu jetteras quelques fleurs sur la tête et te détourneras ; celui-là passera sa vie à tresser avec des fleurs fanées une couronne funéraire.

Ainsi, ce qui fait le prêtre, l’union des actes avec la croyance, les œuvres jointes à la foi, c’est aussi ce qui constitue le vrai poète. M. Mickiewicz a remarqué avec beaucoup de raison que l’écrivain russe Pouchkine a pressenti cette mission du poète, mais sans planer aussi haut que l’auteur de la Comédie infernale. La théorie de Pouchkine flotte dans l’indécision entre la théorie égoïste de l’art pour l’art et celle du poète soldat d’une croyance. « Ce n’est pas, dit l’écrivain russe, pour exploiter les passions du vulgaire, ce n’est pas pour être utile au public, ce n’est pas pour lutter avec les masses brutales que nous sommes envoyés ici. Nous vivons d’inspirations, nous les répandons en harmonie et en prière. » C’est beaucoup de s’élever jusqu’à la prière ; cependant la prière n’est encore que de la contemplation, quelque chose de salutaire et pourtant d’incomplet. Mais quoi ! les poètes qui se sont contentés de peindre la beauté, ceux qui n’ont aspiré qu’à plaire par les séductions de l’harmonie, ceux qui ne se sont pas proposé pour but d’agir, ceux-là seraient-ils tous en dehors des conditions de l’art ? L’esthétique slave, en prenant pour fondement le principe posé dans la Comédie infernale, ne pousse point à ce degré l’exclusivisme. Elle reconnaît qu’il y a des époques où les ames les plus généreuses, où les hommes les plus forts se vouent de préférence à l’art : c’est lorsque les questions capitales qui intéressent l’humanité sont résolues. Il y a aussi des époques qui ont besoin de tous les efforts des hommes, et nous sommes dans une de ces époques où il n’est point permis à l’art de s’isoler. Il ne suffit plus de peindre la beauté pour elle-même, comme l’ont prêché certaines écoles ; il ne suffit plus de prier suivant le précepte de Pouchkine : il faut agir. La poésie est un sacerdoce non dans le sens niaisement vaniteux que certains poètes modernes pourraient donner à ce mot, mais en ce sens qu’elle est l’organe populaire des vérités éternelles et comme la forme mondaine de la religion. Les écrivains slaves professent donc que nous sommes dans une de ces époques où l’art ne saurait être un amusement. Son devoir est de chercher le mot du temps présent, et de lui donner une forme concrète, universelle ; c’est de s’identifier avec les préoccupations religieuses et politiques de la société, c’est de combattre constamment pour la vérité et le pays. Parmi les poètes qui ont entendu ainsi la mission de l’art, et qui l’ont pratiquée, n’oublions pas de citer en première ligne le poète des Slovaques. Quoique fort enclin au panslavisme et en ce sens un peu matérialiste, Kollar est entré majestueusement dans ces vues.