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cette source des grandes inspirations en Europe comme en France, mais il a respecté ce sol slave, que son heureux éloignement des grands foyers de la philosophie moderne a sauvé des ravages d’une impitoyable raillerie ; les Slaves n’ont pas profité des avantages que la science du XVIIIe siècle a dispensés si libéralement aux nations modernes, mais en revanche ils n’en ont pas ressenti les inconvéniens. La spontanéité a conservé chez eux sa vigueur native, et de là vient cette foi juvénile et ardente qu’ils portent dans la religion et dans l’art, et qui anime aussi la cité slave.


II. – LE SLAVISME DANS LA SOCIETE ET DANS LE GOUVERNEMENT.

Les doctrines des slavistes modernes sur les lois civiles et politiques n’ont encore reçu dans l’histoire que des applications partielles. En Pologne ; en Bohême, en Croatie comme en Russie, la tradition slave a subi l’influence des idées étrangères. En Pologne, c’est l’idée latine, la chevalerie, et plus tard le libéralisme français qui ont dominé le génie national ; en Bohème, il a été profondément altéré par le contact du germanisme ; il s’est vu comprimé par l’idée allemande et l’idée magyare en Croatie. Chose étrange, c’est en Turquie ; sous le joug de l’islam, que les traditions slaves ont pu se perpétuer le plus librement. Il entrait dans les principes de la civilisation musulmane de permettre aux races conquises de s’administrer elles-mêmes, de parler leur langue, de vivre suivant leurs croyances et leurs coutumes. Par malheur, les Slaves-Turcs ne sont jamais arrivés à un très haut degré de lumières. Disséminés, ils ont vécu sans lien, au jour le jour, et ils n’offrent à la science que les élémens épars des traditions nationales ; mais l’érudition et la poésie, rapprochant ces élémens de ceux qui se sont conservés en Croatie, en Bohême, en Pologne, en Russie même, se complaisent à en former une cité imaginaire, l’idéal d’une société nouvelle.

On sait qu’une certaine dose d’amour pour le passé est un des élémens du patriotisme des Slaves. Aussi ont-ils dans le système que l’on appelle historique une plus grande confiance que dans celui des rationalistes, constitutionnels ou radicaux. Ils ne sont point embarrassés de donner la raison de leur préférence. Il y a, disent-ils, de l’homme dans tout ce que fait l’homme abandonné à lui-même, par la seule inspiration de son instinct. Il n’en est pas toujours de même des théories qu’il enfante par le raisonnement. Souvent il arrive par cette voie aux combinaisons les plus fausses, à des systèmes dans lesquels il n’y a plus rien d’humain ; telle serait par exemple la république de Platon. Si donc les constitutions historiques et primitives ont le grand défaut d’être vagues et confuses, si pour la plupart, n’étant pas écrites, elles dégénèrent