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facilement et laissent beaucoup de chances à l’audace du plus puissant, elles ont du moins l’avantage d’offrir dans leur jet original et spontané les notions premières et essentielles de l’ordre social.

Cette faveur dont les institutions historiques jouissent chez les Slaves s’explique d’ailleurs par des motifs plus rigoureusement politiques. Durant la période primitive de leur histoire, durant toute cette époque, un peu obscure d’ailleurs, où ils sont restés abandonnés à leur génie national, ils ont vécu dans les conditions d’une liberté fort étendue ; ils ont joui des bienfaits de l’égalité civile et du droit commun politique. Les institutions historiques représentent donc pour eux le régime de la démocratie patriarcale. La démocratie, ils la veulent comme nous ; ils l’entendent autrement, là est toute la différence.

La différence, à la vérité, est profonde ; elle dérive logiquement de leur méthode philosophique, c’est-à-dire de leurs idées sur la religion et sur l’art ; c’est dans les sentimens humains, et non dans les combinaisons de la science, qu’ils cherchent les bases de leur cité idéale. Ils ont remarqué que l’une des principales sources d’erreur en matière politique est l’application des principes généraux qui ont en vue l’être abstrait à l’économie sociale dont les calculs doivent, au contraire, prendre pour règle les rapports des individus. De l’individu à l’humanité, il y a une relation, mais en quelque sorte hiérarchique ; on n’arrive d’un terme à l’autre que par des associations progressives qui s’enchaînent et s’engendrent l’une l’autre. Quelle est la forme de ces associations ? Faut-il entendre par là ces groupes artificiels que certains docteurs modernes essaient de substituer à la liberté individuelle, l’association du travail et de l’atelier, par exemple ? Non ; il ne s’agit que de ces groupes naturels qui se forment comme d’eux-mêmes, et qui résultent des sentimens essentiels du cœur humain, la famille, la commune, la nationalité et la race, puis en dernier lieu l’humanité.

La famille ! nulle part peut-être le funeste effet de l’abstraction ne s’est montré avec plus de relief que dans la famille occidentale. S’il y avait au monde un lieu que le principe rationnel et scientifique de l’égalité dût respecter, c’était l’asile sacré où la Providence a placé en regard la faiblesse et la force, la naïveté et l’expérience, le devoir de l’obéissance et le droit de l’autorité, comme pour donner l’exemple et le vrai sens de la hiérarchie sociale. Les Slaves seuls peut-être aujourd’hui de tous les peuples de l’Europe ont conservé cette notion de la famille fondée sur le privilège moral du père de famille. L’esprit d’indiscipline, de discussion, l’esprit constitutionnel et parlementaire qui, s’est introduit dans la famille occidentale, n’a pas pénétré encore dans la famille slave. On ne saurait contempler sans émotion l’énergie, la dignité homérique que la souveraineté paternelle a sauvée en ces pays du naufrage de toutes les souverainetés. Entrez sous l’humble et paisible