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C’est Dieu qui a créé la distinction des races, c’est lui qui leur a donné, avec des instincts propres, une vocation spéciale. Dieu a donc voulu que la race fût la raison déterminante des grandes associations, c’est-à-dire des états. L’histoire a beau nous montrer cette loi souvent violée, en même temps elle nous laisse voir la sanction pénale qui suit presque infailliblement cette violation à travers les temps. Là où la conquête a superposé une race à une autre, il faut bien que le vaincu, à la fin, rentre dans ses droits. C’est le génie de la race primitive qui reprend peu à peu le dessus. La Gaule subit la double domination du Romain et du Franc, elle reçoit la substance des deux races ; mais le vieux fond gaulois l’emporte en dernier lieu, et la France n’arrive au suprême degré de son énergie nationale que le jour où le Gaulois a absorbé et le Romain et le Sicambre.

Telle est la pensée des Slaves sur la question des races ; ils en font la base même de l’état. Si l’on excepte la Russie, qui depuis des siècles a embrassé le principe de la conquête et n’a pas cessé de le pratiquer, il est certain que les Slaves, admirables soldats, les dignes émules des nôtres par la fougue de leur courage, ne sont pas conquérans. L’honneur du combat semble les toucher plus que le profit de la victoire. Voyez les Tchèques de la Bohême, les Bulgaro-Serbes, les Polonais eux-mêmes au temps de leur force ; l’histoire nous les montre aux prises avec l’Allemagne, les Ottomans et les Russes, mais beaucoup plus préoccupés d’éloigner la guerre de leurs frontières que de la porter chez les autres, obéissant toujours à la même pensée, celle de se renfermer dans les limites de leur nationalité et de leur race. C’est donc un sentiment qui n’appartient pas uniquement aux théoriciens du slavisme ; nous le retrouvons dans les annales de ces peuples comme l’une de ces idées natives et traditionnelles qui forment le patrimoine ou le génie d’une race à travers les âges.

Lorsque la base et la circonscription de l’état sont déterminées, reste un dernier problème à résoudre : quelle sera la forme politique de cette association ? sous quel gouvernement se placera-t-elle ? Tous les peuples slaves ont vécu sous des royautés ; mais ces royautés ont varié singulièrement suivant les lieux et les temps. Du czarisme à la monarchie de Pologne la distance est grande. Cependant c’est la monarchie élective qui a le plus généralement prévalu dans l’histoire des Slaves, et cette forme de gouvernement, sorte de consulat viager compatible avec la démocratie, entraînerait peut-être encore aujourd’hui les prédilections de ces peuples. Ce penchant n’est point de leur part une simple fantaisie ; c’est la conséquence logique de l’idée du slavisme sur les grands hommes et sur l’autorité du génie. La pensée du pays s’incarne dans un homme, et cet homme arrive à la souveraineté par l’acclamation des peuples. Il y a dans cette façon de comprendre les